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CHAPITRE XV

 

LA FAI ET LA LUTTE POLITIQUE

 

Étant donné que cette étude est une tentative pour tirer quelques enseignements de la Révolution Espagnole, nous ne nous proposons pas de traiter des derniers dix-huit mois de la même manière détaillée que nous avons employée pour la premiére année de lutte, pour des raisons évidentes. Depuis juillet 1937, l’État et les institutions gouvernementales s’étaient de nouveau renforcés; la lutte armée contre Franco, une fois contrôlée par le gouvernement et les militaires de profession et conçue comme une guerre de fronts, ne pouvait plus se terminer par une victoire (tous les fronts du nord avaient cédé et le sud de Malaga était perdu); et les organisations des travailleurs étaient déchirées par la lutte entre les personnalités et par la centralisation croissante. «L’Unité», si vantée, était devenue synonyme d’acceptation aveugle de la part des travailleurs, des instructions des «organes suprêmes» soit de l’État, soit de leurs propres organisations.

L’UGT était divisée par la lutte politique entre les communistes et les ailes droite et gauche du parti socialiste qui s’en disputaient le contrôle. La CNT se débattait dans un bourbier de compromis. Les Comités et la bureaucratie syndicaliste, dans les conseils économiques, dans le commandement militaire, dans les forces de sécurité, dans les communes, et toutes les autres institutions étatiques, étaient complètement coupés des aspirations des masses révolutionnaires et, au nom de l’unité et de la victoire sur Franco, renonçaient un par un aux principes et aux conquêtes révolutionnaires des travailleurs. Comme nous l’avons déjà dit, les «Journées de Mai» à Barcelone auraient pu être le signal d’un arrêt; mais au contraire l’action des dirigeants confirma la défaite de la révolution.

Comme pour marquer cette défaite, il y eut le plénum de la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique) tenu à Valence au début de juillet 1937, où l’on proposa de la réorganiser de manière à permettre l’accroissement de ses membres et de son influence. Mais il fut clair, dès les premières interventions —si les actes n’en avaient pas été une preuve suffisante—, que cette réorganisation de la FAI n’était pas une tentative pour défendre la révolution, mais pour se réserver des droits sur ce qui pouvait rester de cette révolution, puisque «les exigences de la guerre» et les politiciens avaient fait de leur mieux pour 1’affaiblir.

Dans une circulaire diffusée par le Comité Péninsulaire de la FAI en octobre 1936, la participation des anarchistes à un «organisme de caractère officiel» est justifiée sous le prétexte que la situation l’exige. Le Comité traite du futur rôle de la CNT qui, dans la reconstruction économique du pays, sera obligée de collaborer avec toutes les sections du «bloc antifasciste», parce que cela ne peut être entrepris par un seul secteur de la communauté, mais demande un «organisme unique où soient concentrés les intèrêts communs» de l’Industrie et de l’Agriculture. Cette thèse est justifiée par le prétexte que

«si nous provoquons la discorde sur le plan économique et gênons les efforts faits pour réaliser cette reconstruction nous créerons une situation chaotique.

«Pour ces raisons et anticipant sur les événements futurs, nous devons prévoir dans certains cas, la disparition des Syndicats ainsi que nous le voyons actuellement; et dans d’autres cas, la fusion de notre organisation de lutte avec d’autres similaires et appartenant à d’autres tendances.

L’idée cachée sous le plan de la FAI devenait maintenant claire. Voici, en peu de mots, ce que soutenaient ses défenseurs: Puisque les Syndicats s’intéresseront exclusivement aux questions économiques et seront seulement en mesure d’avoir une influence professionnelle sur les activités auxquelles ils ont Rété assignés, il est nécessaire d’avoir une force externe qui dirigece mécanisme économique vers ces fins «auxquelles aspire l’humanité». Cette force externe est l’Organisation Spécifique (Organizacion Especifica). Il est à peine besoin d’ajouter que, dans ce but, la FAI se considérait comme le choix idéal ! C’est le premier pas dans la conversion de la FAI au rôle de parti politique. Le second pas fut d’ériger la forme d’organisation. La FAI, fondée en 1927 à une conférence tenue à Valence, avait comme base organisationnelle le «groupement par affinités». Les groupes étaient fédérés en Fédérations locales, provinciales et régionales. L’union de toutes les Fédérations, y compris la Fédération Portugaise, constituait la Fédération Anarchiste lbérique (FAI) représentée par le Comité Péninsulaire.

Au Plénum des Comités Régionaux tenu à Valence en juillet 1937, il fut déclaré :

«Le groupe par affinités a été, pendant plus de cinquante ans, l’organe le plus efficace pour la propagande, pour les contacts et pour l’activité anarchiste. Avec la nouvelle organisation qu’on donne à la FAI, la mission organique du groupe par affinités est annulée. Le Plénum a l’intention de respecter les groupes par affinités mais, à cause des décisions prises par la FAI, ils ne pourront avoir une participation organique en tant que telle.»  

(Peirats, III, 324.)

Ces nouvelles bases d’organisation de la FAI devaient être les groupes géographiques par districts et faubourgs. Ceux-ci sont unis en fédérations locales, provinciales et régionales. Les régionales constituent la FAI. Les demandes d’admission sont examinées par une Commission annexée à chaque groupe de district et de faubourg et à chaque fédération locale. Pour autant qu’on s’en réfère à la reorganisation de la FAI, l’admission avec pleins droits était accordée :

a) aux militants qui appartenaient déjà à la FAI;

b) à ceux appartenant aux organisations syndicales, culturelles, etc... en affinités avec l’anarchisme avant le 1er janvier 1936.

Aux autres qui ne remplissaient pas ces conditions, mais qui avaient des références satisfaisantes, l’admission conditionnée était accordée: mais ils n’étaient pas autorisés à prendre des charges dans l’organisation durant les six premiers mois.

Telles étaient les conditions d’entrée dans la nouvelle FAI mais que devenaient les déclarations de principes? Rappelant que le but était d’augmenter le nombre des membres «dans le plus bref délai possible», on ne surprendra pas en disant que le document ne contenait pas de déclarations de principes, à moins qu’on ne considère comme telles le paragraphe suivant :

«En tant qu’anarchistes nous sommes ennemis des dictatures, autant de caste que de parti; nous sommes ennemis de la forme totalitaire de gouvernement et nous croyons que le sens futur de notre peuple sera le résultat de l’action conjuguée de tous les secteurs qui concourront à la création d’une société sans privilèges de classes, dans laquelle les organismes de travail, d’administration et de vie, seront le principal facteur pour fournir à l’Espagne, aux moyens de normes fédérales, la voie qui satisfera ses différentes régions» (souligné par nous).  

(Peirats, II, 324.)

D’une organisation qui se déclare opposée à une «forme totalitaire» de gouvernement, mais non au gouvernement lui-même, on ne peut attendre aucun geste d’opposition à l’État. Moins que jamais quand on lit d’autre part, dans ce même document :

«La FAI sans négliger la guerre, mais en lui attribuant la plus grande importance, sans renoncer à ses aspirations finalistes, se propose d’impulser la Révolution, à partir de tous les organismes populaires où son action peut être efficace pour assurer dans un sens progressif la culmination de la révolution qui est en train de se faire. »  

(Peirats, II, 323.)

Et plus loin:

«Nous proposons la disparition totale des résidus bourgeois qui subsistent encore, et nous tendons à renforcer tous les orgpinismes qui contribuent à cette finalité. Par conséquent, nous considérons que, face à notre position passée d’opposition, c’est le devoir de tous les anarchistes de participer à toutes les institutions publiques qui peuvent servir à garantir et impulser le nouvel état de choses» (souligné par nous).  

(Peirats, II, 323.)

Les membres de la FAI qui occupent des postes publics «sont invités à faire aux Comités le rapport de leur mission et de leurs activités, en maintenant avec eux un contact étroit dans le but de suivre à tout moment leurs «inspirations *» dans chaque cas spécifique. «Tout membre de la FAI, désigné à un poste public, quelle qu’en soit la nature, peut être désavoué ou destitué de sa charge dès que cela sera jugénécessaire par les corps compétents de l’organisation.»  

Peirats, II, 326.)

* Inspiration: ou dans le langage moins euphémiste des politiciens, ordres, directives !

De telles declarations rendent évidentes les intentions de la FAI d’assurer le rôle de parti politique dans les questions gouvernementales. Car, pour être en mesure de nommer des membres à des «charges publiques», la FAI aurait dû être reconnue par le gouvernement comme un des partis formant «le bloc antifasciste». Elle était bien consciente de ce que son action impliquait d’un point de vue anarchiste mais restait imperturbable. Des assemblées se tinrent, dans les principales villes espagnoles, pour lancer cette monstruosité au nom de l’anarchisme.

Dans une déclaration au mouvement international anarchiste **, la FAI demandait la compréhension pour ses propres actions et le respect des décisions prises seulement après «des discussions libres et passionnées (Aucune allusion toutefois ne révèle le fait que les camarades de la FAI qui e’taient au front, et il y en avait beaucoup, n’avaient pas pris la parole dans ces delibèrations 39.)

** Federacion Anarquista Iberica al Movimiento Internacional, publiée dans le Boletin de Informacion CNT-FAI (édition espagnole, Barcelone, 20 septembre 1937, nº 367).

«Par exemple, la nouvelle structure de la FAI, où une forme d’activité publique est acceptée ainsi que les aspects particuliers de l’activité politique comme la participation de la FAI à tous les organismes créés par la Revolution et  à tous les postes où notre présence est nécessaire pour accélérer l’activité et influencer les masses et les combattants, a été le sujet de très violentes discussions sans que cela soit une modification fondamentale de notre tactique et de nos principes, mais simplement et uniquement une adaptation circonstancielle aux nécessités de la guerre et aux nouveaux problèmes créés par la Révolution. »

Néanmoins l’opposition á la réorganisation de la FAI en Espagne fut considérable, particulièrement en Catalogne où, à un Plènum Régional de Groupes, de nombreux délégués se retirèrent. Deux mois après, dans un article publié dans Solidaridad Obrera (12 octobre 1937), Gilabert, Secrétaire de la Fédération Locale des Groupes anarchistes à Barcelone, mettait de nouveau l’accent sur la « considérable minorit » (minoria considerable) de l’opposition, ajoutant que les divergences en arrivaient à un point tel que quelques groupes menaçaient de provoquer une scission. Un Comite’ fut nomme’ avec mission de trouver une solution qui permettrait à l’importante opposition d’être libre, de continuer à adhérer en tant que groupes affinitaires, « mais que les résolutions de caractère organique présentées par eux seraient considérées par rapport au nombre qu’ils représentent ». Cette proposition toutefois devait être soumise à un Congrès Péninsulaire pour ratification.

Le plan en vue d’augmenter le nombre des membres de la FAI en élargissant la base ne semblait pas trouver le succe’s espéré. Avant juillet 1936, les membres de la FAI étaient évalués à 30 000. Et selon Santillan * à la fin de 1937, le chiffre e’tait monté à 154 000. Mais ce qui avait été gagné en quantité avait été perdu en contenu révolutionnaire. Et le désir de créer un mouvement de masse avait été réalisé aux dépens des valeurs individuelles et des principes anarchistes.

* Dans  « Por  qué perdimos la Guerra » (Buenos Aires, 1940).


 

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