CHAPITRE
VI
LA
CNT PARTICIPE
AUX
GOUVERNEMENTS
CATALAN
ET CENTRAL
La
Révolution sociale et la lutte armée contre Franco ne souffrirent jamais du
manque d’hommes ou d’esprit de sacrifice et de décision pour vaincre et
reconstruire une Espagne fondée sur de nouvelles conceptions de liberté et d’égalité.
Ce qui manquait aux travailleurs espagnols c’étaient les armes, en quantité
comme
en
qualité, les matières premières pour les industries, les fertilisants et les
outillages modernes pour l’agriculture, les vivres et, enfin, l’expérience,
soit pour organiser la nouvelle économie, soit pour combattre dans une lutte
armée prolongée. Mais ce furent seulement les chefs politiques et certains des
membres les plus représentatifs des organisations ouvrières qui s’alarmèrent
de la situation jusqu’à chercher refuge, ne sachant de quel côté aller,
dans les institutions de l’État. Les travailleurs, au contraire, avec leur
bon sens naturel, affrontèrent la situation avec les matériaux disponibles et
les connaissances qu’ils avaient.
Leur
système de gestion des services publics et de distribution des vivres peut
avoir été chaotique, mais aucun critique n’a encore dit que quelqu’un
mourut de faim; leur défense improvisée de Barcelone, Madrid, Valence, peut
avoir été désorganisée, mais malgré tout cela, ils vainquirent les
formations militaires bien organisées et bien armées qui le 19 juillet s’étaient
crues maîtres de toute l’Espagne; leurs colonnes (mal) armées n’ont sans
doute pas occupé Saragosse et d’autres villes stratégiques, mais néanmoins
elles continrent les forces ennemies durant de nombreuses semaines. Elles
parurent avoir été chaotiques, mais, comme l’exprima brièvement un soldat
de profession (le colonel Jiménez de la Beraza), quand on lui demanda ce qu’il
pensait de ces colonnes improvisées :
«Du point de vue militaire, c’est un chaos ; mais c’est un chaos qui fonctionne. Ne le dérangez pas ! » (cité par Santillan dans « Por qué perdimos la guerra » page 65).
Pour
prévenir la critique, nous pourrions dire que nous sommes pleinement conscients
des désavantages de ce «chaos» ; du fait, comme, dit Garcia Oliver, que les
transports étaient sichaotiques que quelquefois les miliciens au front
restaient quatre jours sans vivres ; qu’on n’avait organisé aucun service
sanitaire pour soigner les miliciens blessés ; et aussi du cas extrême de
ces combattants versés à la défense de Madrid, qui à sept heures du soir
abandonnaient leur poste sur la ligne du front pour rencontrer leurs fiancées
en ville ! Nous avons seulement dit que les travailleurs espagnols furent
capables dans une situation qui avait paralysé le gouvernement (sauf son
habileté à publier les décrets inutiles et insolents dans la «Gazeta») et
les politiciens, d’improviser et d’organiser au-delà de toute espérance.
Et si par la suite la résistance aux armées de Franco fut possible, ce fut
grâce à ce glorieux «chaos» des premières semaines de combat.
Il
nous semble que
le rôle des anarchistes était de chercher soutenir cette vaste masse de
bonne volonté et d’énergie, et d’œuvrer pour sa consolidation et sa
coordination, en éclairant les problèmes pour leurs camarades travailleurs, en
suggérant des solutions, et toujours en défendant l’idée que tout le
pouvoir et chaque initiative devait rester aux mains des travailleurs
eux-mêmes. Et non seulement des travailleurs de la CNT, mais aussi de ceux de l’UGT
qui, déçus par les «gouvernements socialistes» qui ne se sont pas montrés
différentsdes autres, auraient prêté plus d’attention à de tels arguments
qu’aux conseils faibles et timorés de la majeure partie de leurs chefs.
«
Sans désordre la Révolution est impossible »
écrit
Kropotkine*.Au
contraire, beaucoup de membres des organisations révolutionnaires étaient
tellement préoccupés par la lutte contre Franco que, dès les premiers
moments, leurs exhortations aux ouvriers furent des appels à l’ordre, au
retour au travail, à l’augmentation des heures de travail, pour satisfaire
les exigences de la lutte armée. Cette attitude peut se résumer en deux
phrases contenues dans un article de Juan Peiro où il s’oppose à l’idée
de réduire la journée de travail des ouvriers dans les usines catalanes :
*
D’une
lettre à un ami pendant la révolution russe. Rapportée par Woodcoch
Avakoumovitch dans «Pierre Kropotkine, le prince anarchiste» (Paris, 1953).
«La fameuse phrase de Napoléon est trop souvent oubliée. La guerre et ses succès dépendent toujours de l’argent parce que de tout temps les guerres se sont appuyées sur une base économique.»
(Peirats,
I, 204.)
Comme
cela était vrai dans le cas de l’Espagne en août 1936 ! Mais au lieu de
dire aux travailleurs qu’avant toute autre chose ils auraient dû s’assurer
que les banques et la réserve d’or fussent entre leurs mains,
il exhortait les travailleurs de l’arrière à augmenter toujours davantage le
nombre d’heures de travail dans le but de produire plus ! Ce n’est pas qu’il
ne disait pas une vérité. Mais il était vrai aussi que celui qui contrôlait
la réserve d’or aurait contrôlé la direction de la guerre et de l’économie
espagnole.
Dans
ces premiers jours de« lutte le besoin d’armés et de matières premières
était urgent. Et pour fabriquer les armes, les ouvriers catalans avaient besoin
d’usines adaptées à ce but ; les machines devaient être achetées à l’étranger
avec de l’or, et on devait acheter aussi avec de l’or les avions, le
matériel de transport, les fusils, les canons et les munitions, et également
avec de l’or on pouvait obtenir des armes allemandes et italiennes. La
réserve d’or était le moyen qui aurait permis aux travailleurs armés de
passer de la défensive à l’ettaque. Car s’il est vrai qu’ils n’étaient
pas entraînés comme il convenait et que les milices manquaient de
coordination, toutefois sans armes et transports suffisants cesproblèmes
restaient de peu d’importance.
Pour
augmenter la confusion en matière financière, il y avait la rivalité entre le
Gouvenement de Catalogne et de Madrid, une rivalité qui ignorait l’ennemi
commun et dans laquelle le Gouvernement de Madrid avait l’avantage parce qu’il
détenait le contrôle de l’or. Avantage dont il usa pour chercher à
étouffer la révolution en Catalogne et à saboter le front d’Aragon. et la
campagne pour les îles Baléares, qui furent des initiatives prises par la CNT.
D’après Santillan, la même attitude prévalut quand Caballero succéda au
gouvernement Giral en septembre 1936.
Observons
plus en détail les dommages provenant du fait que l’or restait en de
mauvaises mains.
Le
24 septembre 1936 se tint à Barcelone un Plénum régional des Syndicats où
étaient présents 505 délégués, représentant 327 syndiéats. Ace plénum,
Juan P. Fabregas, délégué de la CNT au Conseil Économique, après avoir
montré l’activité des syndicats, parla de difficultés financières de la
Catalogne découlant du refus du Gouvernement de Madrid de
«donner une aide quelconque dans les questions économiques et financières, sûrement parce qu’il na pas beaucoup de sympathie pour l’oeuvre d’ordre pratique qui se fait en Catalogne... Il y a eu un changement de gouvernement, mais nous continuons à rencontrer les mêmes difficultés».
(Peirats,
I, 214.)
Fabregas poursuivit en déclarant qu’une Commission s’était rendue à Madrid demander des crédits pour l’acquisition de matériel de guerre et de matières premières, offrant en garantie un milliard de pesetas en titres déposées à la Banque d’Espagne, et avait reçu un net refus. Il suffisait que la nouvelle industrie de guerre en Catalogne soit contrôlée par les travailleurs de la CNT pour que le Gouvernement de Madrid refusât toute aide inconditionnée. Il aurait consenti l’assistance financière seulement en échange du contrôle gouvernemental.
Ce
que signifiait en termes de production d’armes ce sabotage évident du
gouvernement, est révélé par un compte rendu des conversations tenues le ler
septembre 1937 entre Eugenio Vallejo, reprèsentant de l’industrie de
guerrecatalane contrôlée par la CNT et le SousSecrétaire aux Armes et
Munitions du Gouvernement central, au cours desquelles ce dernier admit, devant
témoins, que:
«l’industrie de guerre: catalane avait produit dix fois plus que tout le reste de l’industrie espagnole et convint avec Vallejo que cette moyenne de production aurait pu être quadruplée depuis le début de septembre si la Catalogne avait pu disposer des moyens nécessaires pour acquérir les matières premières existant sur le territoire espagnol 19 ».
Mais
revenons à septembre 1936. Le plénum régional des Syndicats termina ses
délibérations le 26 septembre. Le lendemain, la presse annonça l’entrée de
la CNT dans le gouvernement catalan. Dans un communiqué de presse, la CNT nia
que ce fût au gouvernement et précisa avoir participé à un Conseil Régional
de Défense ! Qui prit cette décision ? Ni Peirats, ni Santillan n’en
donnent d’explications. Il n’y a pas non plus d’indications que la
question ait été discutée au Plénum Régional. Vers le 20 septembre
cependant, après la formation du Gouvernement Caballero, un Plénum National
des Comités Régionaux se réunit, présidé par le Comité National de la CNT
dans le but de chercher une formule par laquelle en sauvant la face, la
«collaboration» devint possible.
Il
fut décidé qu’on aurait dû constituer un «Conseil National de Défense»
et qu’on aurait dû transformer les ministères existants en Départements.
Plusieurs décisions relatives aux milices, aux banques, à la propriété de l’Église,
etc... sont incluses dans cette déli‘bération. Mais le document n’a qu’une
importance relative, car le terme Conseil National de Défense fut employé pour
rendre moins terrible aux oreilles de la CNT le son du mot «gouvernement». Ce
fut bien compris des partis politiques, qui ne prirent pas en considération les
propositions et virent le bluff de la CNT de telle sorte que, deux jours plus
tard, le plénum fut de nouveau réuni, et la CNT ne put que regretter le rejet
de ses propositions. A la fin de ce document, cependant, il est implicite que la
formation du Conseil Régional de Défense (comme le gouvernement catalan avec
la participation de la CNT fut défini par euphémisme) fut le résultat du
plénum précédent, et il est ajouté que la préparation d’un Conseil
National de Défense devait être poursuivie. Mais comme le Conseil Régional de
Défense était le gouvernement de Catalogne, il n’est point
surprenant qu’en novembre la CNT capitule et que quatre de ses membrés
fassent partie du gouvernement Caballero à Madrid.
La
formation d’un gouvernement en Catalogne avec la participation de la CNT mit
fin au dualisme de pouvoir entre le Comité des Milices Antifascistes et le
Gouvernement de la Généralité par l’élimination du Comité des Milices.
Malgré tout ses défauts, le Comité représentait mieux que le Goluvernement,
les aspirations révolutionnaires. Et il n’avait pas de pouvoir exécutif pour imposer
ses décisions. Il est à peine nécessaire d’ajouter que, dans le nouveau
Gouvernement, les organisations ouvrières étaien en minorité et les partis
politiques en msjorité. Et ainsi, à peine eux mois après que l’humble
Companys du 20 juillet ait offert «de devenir un autre soldat dans la lutte»
si la CNT l’avait désiré, il avait maintenant dans les mains les rénes du
pouvoir politique. Il fallait savoir s’il réussirait aussi à se servir de la
cravache !
De
quelle façon la lutte contre Franco fut-elle améliorée par ce changement ?
Santillan nous donne cette explication:
«S’il
ne s’était agi que de la révolution, l’existence même du gouvernement
aurait été non un facteur favorable, mais un obstacle à détruire; or, nous avions
à faire face aux exigences d’une guerre
violente, avec des complications internationales, et nous étions liés
aux marchés internationaux et aux relations avec un monde étatisé. Et pour l’organisation
et la direction de cette guerre, dans les conditions où nous nous trouvions,
nous ne disposions pas de l’organisme qui aurait pu remplacer le vieil
appareil gouvernemental.»
(p. 113)
Santillan poursuit en remarquant qu’«une guerre moderne» demande une industrie de guerre complexe, ce qui suppose, pour des pays non totalement autonome, des relations politiques, industrielles et commerciales avec les centres du capitalisme mondial qui possèdent le monopole des matières premières. Et les pays étrangers étaient hostiles à la révolution et pouvaient refuser de fournir les matières premières s’il n’y avait eu une apparence de gouvernement.
La
dissolution du Comité des Milices ne fut pas le dernier sacrifice fait pour
«démontrer
notre bonne foi et notre désir dominant de gagner la guerre. Mais plus nous
avions cédé à l’intérêt commun, plus nous nous étions trouvés devant
des obstacles de la contrerévolution personnifiée par le pouvoir central».
Avec
quels résultats ? demande Santillan :
«certainement
pas à l’avantage de la guerre ou du moins pas à l’avantage de 1a victoire
sur l’ennemi».
Pendant
ce temps, Moscou était entré dans le conflit et le monopole des Communistes
qui en Catalogne
20 avaient
commencé à absorber les différents
groupes socialistes en un parti unique, le PSUC (Parti Socialiste Unifié de
Catalogne) s’était enhardi grâce au contrôlé grandissant exercé
par les agents par les agents et les techniciens russes dans tous les
départements d’État. Moscou avait l’intention de détruire la Catalogne
révolutionnaire, soit en coupant le ravitaillement en armes, soit par un assaut
direct. Mais les temps n’étaient pas encore mûrs et il n’est donc pas
surprenant que le 25 octobre 1936 les communistes soient prêts à signer un
pacte d’Unité d’Action avec la CNT, la FAI, l’UGT et le PSUC. Le pacte
était un nouveau pas fait vers la centralisation complète du pouvoir dans les
mains du Gouvernement catalan. Les clauses de l’accord comprenaient la
collectivisation des moyens de production et l’expropriation sans
compensation, mais
avec la clause :
«Nous sommes d’accord pour dire que cette collectivisation ne donnerait pas les résultats espérés si elle n’était pas dirigée et coordonnée par un organisme vraiment représentatif de la collectivité, qui, dans ce cas, ne peut être que le Conseil de la Généralité où sont représentées les forces sociales.»
(Peirats, I, 225.)
Accord
également sur la municipalisation des logements et sur la fixation par des
organes municipaux des prix maximaux des loyers. Accord sur un commandement
unique pour coordonner l’action de toutes les forces combattantes, sur la
création des milices obligatoires transformées en une vaste armée populaire
et sur le renforcement de la discipline. Accord sur la nationalisation des
banques et sur le contrôle ouvrier, par les commissions des employés, de
toutes les opérations bancaires effectuées par la Chancellerie Financière du
Conseil de la Généralité. Accord sur une
«action commune pour liquider les activités nuisibles de groupes incontrôlables qui, par manque de compréhension ou malhonnêteté, mettent en danger l’application de ce programme».
(Peirats,
I, 227.)
Deux
jours après, une grande assemblée publique fut tenue pour célébrer cette
nouvelle victoire de la contre-révolution. Parmi les orateurs, il y eut le
Secrétaire Régional de la CNT, Mariano Vazquez, le futur Ministre de la Santé
publique, Federica Montseny et cette sinistre figure du Socialisme
Catalan : Juan Comorera... et le Consul général russe à Barcelone,
Antonov Ovseenko ! Le pacte d’unité ne fut pour les communistes qu’un
premier pas dans leur plan pour s’emparer du pouvoir. Depuis le début, la
petite bourgeoisie avait représenté un bloc incertain dans la réalisation de
la révolution sociale. La CNT avait respecté leurs intérêts et maintenant
les communistes s’apprétaient à conquérir ces partisans de Companys. La
crise qui eut lieu en décembre 1936 dans le Gouvernement catalan eut
visiblement pour cause le manque de discrétion des organisations des
communistes dissidents POUM (ayant un représentant au Gouvernement) dans leur
attaque contre la politique internationale de la Russie. L’occasion fut saisie
par les communistes pour discréditer aussi la CNT en demandant dans leur presse
pourquoi aucune offensive n’était faite sur le front d’Aragon (tenu
principalement par les anarchistes) 21. Deux
jours après, la crise fut «résolue» par la destitution du ministre du POUM.
Devant
quel tragique bilan de défaites se trouve la CNT en Catalogne à la fin de
1936 ! Ces défaites ne tenaient pas à l’œuvre de la collectivisation
dont les travailleurs avaient tiré et consolidé les premières victoires. Les
défaites des travailleurs étaient dues aux succès des politiciens à
transférer, l’un après l’autre, tous ces pouvoirs qui, depuis qu’ils
étaient aux mains des. travailleurs, rendaient impossible au Gouvernement d’émerger
de son obscurité méritée. A la fin de 1936, Companys avait littéralement le
contrôle en main, mais il avait fini par payer cette victoire un prix élevé :
en cédant aux communistes. Et si la CNT était restée eloignée de la lutte
politique, elle aurait pu tirer avantage de cette situation. Mais elle naviguait
dans un océan de compromis et était encore bien loin du port. Quoi de plus
désastreux pour le mouvement révolutionnaire que des chefs assez aveugles pour
dire, comme Garcia Oliver:
«Les
Comités de la Milice antifasciste ont été dissous parce que maintenant la
Généralité nous représente tous» ?
Pendant
ce temps, à Madrid, Largo Caballero, succédant à Giral comme premier
ministre, eut pour première charge celle de créer un gouvernement qui
fonctionnât. Durant les semaines précédentes
« les
masses avaient gravité autour des organisations des travailleurs, éblouies par
leurs conquêtes révolutionnaires, ou étaient sur le front
pour combattre l’ennemi commun »
écrit
Peirats, ajoutant :
«Pour
sauver le gouvernement, le principe du gouvernement, il faut lui donner du
prestige avec des mots d’ordre et un homme. On pouvait improviser les mots d’ordre
et destituer l’homme de sa fonction une fois la situation rétablie. Ce qui
est important c’est de trouver une formule qui permette la reconstruction de l’appareil
étatique, afin d’en confier les rênes à un gouver nement
qui remplisse le rôle de désarmer le peuple pour le forcer à l’obéissance.
En un mot, mettre la révolution dans une camisole deforce. Aussi Largo
Caballero était-il l’homme providentiel. »
(p. 207)
C’était
un chef de l’UGT, syndicat dominé par les socialistes et un «extrémiste »
du parti socialiste pris en considération par la CNT 22. Son
premier soin sera de rendre leur prestige aux institution républicaines
décadentes et une nouvelle
vie à l’État et rendre ainsi possible ce que les gouvernements précédents
avaient été incapables d’obtenir : la militarisation des milices, la
réorganisation des corps armés et leur contrôle par le gouvernement avec le
désarmement simultané à l’arrière-garde. Le mot d’ordre ne fut pas
difficile à trouver : la nécessité d’une discipline et d’un
commandement unique en réponse aux défaites sur les fronts ; le besoin d’aller
de l’avant et de gagner la guerre avant tout.
La réponse de la CNT au gouvernement Caballero fut le plénum national des comités régionaux réuni à la mi-septembre, où la constitution à Madrid d’un Conseil National de Défense décrit comme suit, fut proposé :
«Organisme national autorisé à assumer les fonctions de direction dans le domaine défensif et de consolidation, dans le domaine politique et économique.»
(Peirats, I, 209.)
Comme nous l’avons déjà remarqué ce Conseil aurait eu les pouvoirs de «créer une milice de guerre obligatoire». En d’autres termes, ce «Conseil» était un gouvernement déguisé, même en étant un gouvernement révolutionnaire.
Le
4 novembre 1936, quatre membres de la CNT entrèrent au Gouvernement Caballero:
Juan Lopez et Juan Peiro comme ministres du Commerce et de l’Industrie,
respectivement; Federica Montseny au Ministère de la Santé et Garcia Oliver à
la Justice. Aucun de ces ministres n’a été capable de prouver que durant les
six mois de sa charge la présence au Gouvernement de représentants de la CNT
contribuait d’une façon quelconque à améliorer la situation militaire. Juan
Lopez a fait remarquer l’impossibilité de faire quelque chose dans la sphère
économique quand les portefeuilles du Commerce et de l’Industrie étaient aux
mains des Syndicalistes et l’Agriculture et les Finances dans celles d’un
communiste et d’un socialiste de droite. Federica Montseny a admis
publiquement que la participation de la CNT au Gouvernement fut une faillite et
seul Garcia Oliver est en extase, en décrivant les résultats obtenus par lui
comme ministre de la Justice. Peut-être aurait-il montré moins d’enthousiasme
pour ses propres découvertes révolutionnaires dans le domaine de la
criminologie s’il avait eu connaissance de l’œuvre d’institutions
également prudentes, mais de bonne foi, comme le Horvard League pour la
réforme pénale
dans l’Angleterre capitaliste 23 !
L’occupation
des charges gouvernementales par la CNT fut décrite par son quotidien Solidaridad
Obrera, comme
«un
des faits les plus transcendants qu’enregistra l’histoire politique de notre
pays.»
Et
il continua, expliquant que :
« A l’heure actuelle, le gouvernement, comme instrument régulateur des organes de l’État, a cessé d’être une force d’oppression contre la classe ouvrière, de même que l’État, qui ne représente déjà plus l’organisme séparant la société en classes. Et, avec l’intervention dans ceux-ci d’éléments de la CNT, l’État et le Gouvernement cesseront d’autant plus d’opprimer le peuple.
«Les
fonctions de l’État seront réduites, d’accord avec les organisations
ouvrières, à régulariser la marche de la vie économique et sociale du pays.
Et le gouvernement n’aura d’autre préoccupation que celle de bien conduire
la guerre et coordonner l’œuvre révolutionnaire suivant un plan d’ensemble.
«Nos
camarades porteront au gouvernement la volonté collective ou majoritaire des
masses ouvrières, réunies au préalable en grandes assemblées générales.
Ils ne se feront pas les avocats de critérium personnel, mais seulement ceux de
décisions prises librement par des centaines de mille d’ouvriers organisés
dans la CNT.
«Une
fatalité historique pèse sur toutes les choses, et cette fatalité, la CNT l’accepte
pour servir le pays, en gagnant rapidement la guerre et en empêchant toute
déviation de la rèvolution populaire.»
(Peirats,
I, p. 231, traduction «Pensée et Action», 1937.)
Comparons
cette sottise opportuniste avec les opinions que la CNT exprimait deux mois
auparavant dans le Boletin de Informacion CNT-FAI (No 31 du 3 septembre 1936) et rapportées par Solidaridad
Obrera dans son éditorial que nous avons déjà cité.
Avec
le titre significatif de «l’inutilité du Gouvernement», la CNT-FAI
observait que :
«L’existence
d’un gouvernement de front populaire, loin d’être un élément
indispensable dans la lutte antifasciste, est qualitativement une vulgaire
imitation de cette même lutte.
«Il
est inutile de rappeler que, face au «putsch» fasciste, les Gouvernements de
la Généralité et de Madrid ne firent absolument rien. L’autoritè fut
utilisée seulement pour cacher les manœuvres des éléments réactionnaires et
de ceux dont le Gouvernement était, consciemment ou inconsciemment, l’instrument.
« La
guerre qui est faite victorieusement en Espagne est une guerre sociale ; l’action
d’un pouvoir modérateur, fondée sur la stabilité et le maintien des
classes, ne saura imposer une attitude définie dans cette lutte dans laquelle
les fondements de l’État vacillent et où il est lui-même privé de
sécurité. Il est exact donc de dire que le gouvernement de Front Populaire en
Espagne n’est que le reflet d’un compromis entre la petite bourgeoisie et le
capitalisme international...
«L’idée
de substituer à ce gouvernement, faible défenseur du statu quo de la
propriété et du capital étranger, un gouvernement fort fondé sur une
idéologie et sur une organisation politique «révolutionnaire» ne servirait
qu’à retarder l’insurrection révolutionnaire. La question donc n’ést
pas de savoir si le marxisme s’emparera du pouvoir, ni d’autolimiter l’action populaire
pour des raisons d’opportunisme politique. L’«État ouvrier» est le
résultat final d’un d’une activité révolutionnaire et le commencement
nouvel esclavage politique.
«La
coordination des forces du front populaire, l’organisation de l’approvisionnement
alimentaire par la collectivisation intensive des entreprises sont d’un
intérêt vital pour atteindre nos objectifs. C’est évidemment la tâche de l’heure
et cela a été obtenu jusqu’à maintenant d’une façon non gouvernementale,
décentralisée, démilitarisée...
«Beaucoup
de progrès restent à faire pour affronter ces nécessités. Les Syndicats de
la CNT et de l’UGT pourraient faire un plus grand usage de leurs forces pour
réaliser ces progrès. Un Gouvernement de coalition, au contraire, avec ses
luttes politiques entre les majorités et les minorités, sa bureaucratisation
fondée sur des élites choisies, et la guerre fratricide où sont plongées les
fractions politiques opposées, est incapable de tirer un avantage de notre
œuvre de libération en Espagne. Il conduirait à
la rapide destruction de nos possibilités d’action, de notre
volonté d’union et au commencement d’une débâcle imminente en face d’un
ennemi encore suffisamment fort.
«Nous espérons que les travailleurs espagnols et étrangers comprendront la justesse des décisions prises en ce sens par la CNT-FAI. Discréditer l’État est l’objectif final du Socialisme. Les événements prouvent que la liquidation de l’État bourgeois, affaibli par asphyxie, est le résultat de l’expropriation économique et non nécessairement d’une orientation spontanée de la bourgeoisie «socialiste». «La Russie et l’Espagne en sont les exemples vivants »
(Peirats,
I, 206-207).
Cette
importante déclaration contient tous les arguments que nous aurions voulu
exposer afin de démontrer que la collaboration avec les gouvernements et les
partis politiques fut une erreur à tous points de vue : ceux de la révolution
sociale et de la lutte armée, de la tactique révolutionnaire et des principes.
Malgré
tout ce que les admirateurs de la collaboration peuvent dire, les événements
— de l’époque du gouvernement «de guerre» de Largo Caballero au
«gouvernement de la victoire» de Negrin, achevé par la reddition ignominieuse
de la Catalogne et la liquidation des communistes et du gouvernement Negrin dans
l’Espagne centrale avant la capitulation finale — confirment chaque détail
de l’analyse contenue dans le document historique que nous avons mentionné.
Qu’est-ce
qui provoqua ce brusque revirement qui amena quelques semaines plus tard la
CNT-FAI à occuper des sièges ministériels; et dans quelle mesure les membres
de l’organisation furent-ils responsables de cet abandon total des principes
anarchistes et de la tactique rèvolutionnaire?
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