Le
dilemme: «Dictature anarchiste et confédérale» ou «Collaboration et Démocratie»
existait seulement pour ces «militants influents» de la CNT-FAI qui, interprétant
de façon erronée leurs fonctions de délégués, s’arrogèrent le rôle de
diriger le mouvement populaire. Nous ne discuterons pas de leur intégrité et
de leur courage comme hommes et comme membres de longue date du mouvement révolutionnaire
espagnol. Mais comme chefs, non au sens où étaient chefs Durruti ou Ascaso,
mais comme directeurs qui, par leur sagesse, guidaient les «masses» ! ils
souffrirent du mal du commandement: prudence, peur des masses sans contrôle, éloignement
des aspirations de ces masses, et sentiment messianique selon lequel toute la
sagesse et l’initiative viennent d’en haut et que les masses ne doivent
qu’exécuter sans discuter les ordres de ces surhommes. Santillan, par
exemple, veut nous faire croire que le Comité des Milices Antifascistes (un
groupe composé de représentants de tous les partis politiques de l’UGT et de
la CNT et où il eut une part prédominante) aurait amené l’instauration de
l’ordre révolutionnaire dans l’arrière-garde, l’organisation des milices
armées et l’instruction des spécialistes, l’organisation économique des
produits alimentaires et d’habillement, l’action législative et judiciaire.
Le «Comité des Milices» écrit-il:
«était
tout, s’occupait de tout: la transformation des industries de paix en
industries de guerre, la propagande, les relations avec le Gouvernement de
Madrid, l’aide à tous les centres de combat (...), l’exploitation de toutes
les terres disponibles, l’hygiène, la garde des côtes et des frontières,
mille tâches des plus diverses»
(p. 69-70)
et
ainsi jusqu’au point d’écrite :
«Il
fallait le renforcer, l’appuyer, pour qu’il remplît plus complètement sa
mission, car le salut dépendait de sa jorce...»
(Souligné
par l’auteur, p. 70.)
Il
n’est pas étonnant qu’avec une telle mentalité — où nous sentons le dédain
que tous les politiciens montrent pour les masses travailleuses — les chefs de
la CNT-FAI aient continué à participer aux institutions de l’État et donc
à le renforcer: furent-ils complètement aveugles sur la puissance révolutionnaire
du peuple travailleur?
«Ou
communisme Libertaire, ce qui signifie dictature anarchiste, ou bien démocratie,
ce qui signifie collaboration»
fut
la manière dont Garcia Oliver et les «militants les plus influents» interprétèrent
«la realité du moment». Nous serons plus audacieux que Peirats qui écrit:
«Nous
n’examinerons pas ici l’exactitude d’une telle opinion.»
Aucun
des anarchistes, étrangers qui critiquèrent la conduite suivie par le CNT-FAI
n’affirma jamais que les révolutionnaires espagnols devaient imposer par la
force la révolution sociale à la population. En admettant que les temps n’étaient
pas mûrs pour une si complète transformation sociale, l’unique alternative
étaitelle de collaborer avec les partis politiques qui, chaque fois qu’ils
avaient eu le pouvoir, avaient persécuté la CNT-FAI? Si c’était le cas,
pourquoi la CNT-FAI n’avait-elle jamais collaboré avec eux dans les luttes précédentes,
quand les probabilités d’établir le Communisme Libertaire étaient beaucoup
plus incertaines qu’au 19 juillet? Nous entendons déjà la réponse :
«Parce que cette fois l’Espagne combat le fascisme international et nous devons gagner la guerre avant d’établir la révolution sociale. Et pour gagner la guerre, il faut collaborer avec tous les partis opposés à Franco.»
(Peirats,
I, 163.)
Cette
thèse contient, à notre avis, deux erreurs fondamentales reconnues ensuite par
plusieurs chefs de la CNT-FAI, mais pour lesquelles il ne peut y avoir de
justification car ce ne furent pas des erreurs d’évaluation mais l’abandon
délibéré des principes de la CNT. Premièrement, q’une lutte armée, contre
le Fascisme ou contre toute autre forme de réaction, puisse être combattue
avec plus de succès dans le système étatique en subordonnant tout le reste à
la victoire, y compris la transformation de la structure économique et sociale
du pays. Deuxièmement, qu’il fut essentiel et possible de collaborer avec les
partis politiques, c’est-à-dire avec les politiciens, honnêtement et sincèrement
dans une période où le pouvoir était entre les mains de deux organisations
ouvrières.
Par
exemple, depuis le début, il était clair que les communistes qui étaient une
assez petite minorité en Espagne (et qui n’existaient pas en Catalogne)
auraient exploité la trêve offerte par la collaboration pour s’infiltrer
dans les rangs socialistes, par des alliances politiques et en jouant sur la
peur des politiciens devant une future menace à leur hégémonie représentée
par une inéluctable révolution sociale. A cette fin, les communistes, depuis
le début, abandonnèrent tous les slogans révolutionnaires et se déclarérent
défenseurs de la «démocratie».
Il
faut rappeler que la principale erreur fut commise les premiers jours du combat,
quand un peuple mal armé avait arrêté une opération militaire soigneusement
préparée et conduite par une armée adroite et bien équipée à laquelle
personne, pas même les «membres influents» de la CNT, n’imaginait qu’on
puisse résister. Et ces mêmes travailleurs prouvèrent leur décision en
s’offrant en grand nombre comme volontaires pour former les colonnes armées
qui s’apprêtaient à libérer les zones occupées. Toute l’initiative
—nous l’avons déjà dit et nous ne nous lasserons pas de le répéter —
était entre les mains des travailleurs. Les politiciens, au contraire, étaient
comme des généraux sans armée, qui se perdent dans un océan de futilités. Même
avec un grand effort d’imagination, on ne peut penser que la collaboration
avec eux pouvait renforcer la résistancé contre Franco. Au contraire, il était
clair que la collaboration avec les partis politiques signifiait la réinstauration
des institutions du gouvernement et le transfert de 1’initiative des
travailleurs en armes à un corps central, avec des pouvoirs exécutifs.
L’initiative enlevée aux travailleurs, la responsabilité de la conduite de
la lutte et de ses objectifs serait transférée à une hiérarchie gouvernante
et cela aurait pu avoir un effet négatif sur le moral des combattants révolutionnaires.
Le slogan de la direction CNT-FAI: «D’abord la guerre, puis la révolution»,
fut la plus grande erreur qui puisse être faite et elle fut exploitée au
maximum par les politiciens, à leur avantage. Santillan se rendit compte, trop
tard, de l’énormité de cette erreur:
«Nous
savions qu’il n’était pas possible de triompher dans la révolution si nous
n’avions pas gagné la guerre et nous avons tout sacrifié à la guerre. Nous
avons sacrifié jusqu’à la Révolution
sans nous apercevoir que ce sacrifice impliquait aussi celui des objectifs de la
guerre.»
(Peirats,
I, 215, Santillan, p. 116)
«Révolution
Sociale ou Démocratie», «Dictature anarchiste ou gouvernement démocratique»,
furent la seule alternative pour ces révolutionnaires qui avaient perdu la foi
dans le peuple et dans la justesse des principes fondamentaux de la CNT-FAI.
De
semblables alternatives sont contraires aux principes les plus élémentaires de
l’anarchisme et du syndicalisme révolutionnaire. En premier lieu, une «dictature
anarchiste» est une contradiction dans les termes (comme l’est la «dictature
du prolétariat») puisque, au moment où ils imposent leurs idées sociales au
peuple, les anarchistes cessent d’être anarchistes. Nous pensons que tous les
hommes et toutes les femmes doivent être libres de vivre leur propre vie. Les
obliger à être libres contre leur volonté n’est pas seulement une
contradiction, c’est aussi leur imposer une contrainte semblable à celle des
autoritaires qui usent de la force pour maintenir le peuple en état de sujétion !
Puisque la société anarchiste ne sera jamais instituée par la force, les
armes en possession de la CNT-FAI ne pouvaient être d’aucune utilité pour
imposer le Communisme Libertaire dans toute le Catalogue, et d’autant moins
dans le reste de l’Espagne où les anarchistes étaient en minorité dans les
organisations ouvrières. Le faire aurait été un désastre non seulement pour
les effets de la lutte contre les forces armées de la réaction représentées
par Franco, mais aussi parce que la révolution aurait été alors certainement
étouffée dés sa naissance.
La
force des travailleurs en armes ne peut être utilisée que pour la défense de
la révolution et des libertés conquises par leur action de militants et par
leurs sacrifices. Nous n’affirmons pas non plus un seul instant que toutes les
révolutions sociales soient nécessairement anarchistes. Mais quelle que soit
la forme prise par la révolution contre l’autorité, le rôle des anarchistes
est clair: il est d’inciter le peuple à abolir la propriété capitaliste et
les institutions à travers lesquelles elle exerce son pouvoir par
l’exploitation de la majorité par une minorité.
Partant
de ces considérations générales sur le rôle des anarchistes, nous tâcherons
d’en examiner l’application à la situation espagnole.
Avant
tout, nous devons reconnaître que l’insurrection ne fut pas commencée par le
peuple. Elle partit d’un groupe de généraux, avec l’aide morale de
quelques politiciens réactionnaires et avec l’appui financier des industriels
et des propriétaires espagnols et de l’Église. Leur rébellion était dirigée
contre les organisations ouvrières révolutionnaires, et aussi contre le
gouvernement au pouvoir, auquel ils voulaient soustraire tout l’appareil
gouvernemental, en agissant pour leur propre intérêt, avec la plus grande
intransigeance. Dire que le Gouvernement de Front Populaire était faible ne
signifie pas, en fait, critiquer l’esprit libéral ou progressiste des hommes
qui le composaient, il faut exclure l’idée qu’ils étaient aussi inhumains
que les généraux et leurs alliés. Le Gouvernement de Front Populaire était
faible parce qu’il existait en Espagne une opinion publique généralement
hostile et sceptique sur les capacités de tout gouvernement à trouver des
solutions aux problèmes économiques du pays, et parce qu’il y existait
aussi, une force armée dont la fidélité au gouvernement était depuis
toujours douteuse.
L’insurrection
militaire éclata le 17 juillet. La réaction immédiate du gouvernement fut
d’opérer un remaniement du Cabinet dans le but d’arriver à un accord avec
les généraux. Si ceux-ci avaient douté de leur capacité de s’emparer du
pouvoir, ils auraient accepté une telle possibilité. En refusant, ils révélaient
la force cachée derrière le coup d’État. Pour le Gouvernement, il y avait
deux voies à suivre: démobiliser les forces armées (ce qui aurait donné aux
soldats et aux officiers qui ne sympathisaient pas avec Franco, l’autorité légale
et morale de déserter et même, en certains cas, de désarmer les chefs de la révolte
militaire), et armer le peuple.
Aucune des deux ne fut suivie, et par conséquent, le Gouvernement démontra
clairement son manque de décision face à l’insurrection, et son manque de
confiance dans le peuple armé (et par cela nous entendons la peur d’être
incapable d’exercer aucun contrôle sur le peuple armé). Ce fut le peuple qui
arracha des mains du Gouvernement l’initiative de la résistance, réussissant
en peu de jours à annihiler les intentions des généraux. En même temps, et
en résultat de cette action rapide, les Gouvernements de Madrid et de Barcelone
cessèrent d’exister «de jure et de facto».
Le
peuple en armes était celui des travailleurs, donc des producteurs, et la conséquence
naturelle de la défaite, de la rébellion et de l’autorité gouvernementale
fut qu’ils considérèrent leur situation de travailleurs sous un nouvel
aspect; non plus de dépendance et de servitude, mais d’êtres humains libérés
de la tyrannie des chefs et ayant tous les moyens de production entre leurs
mains. Et sans hésitation, ils se mirent à réorganiser la vie économique du
pays, avec plus ou moins d’intensité ou de succès suivant la préparation idéologique
et technique et l’initiative révolutionnaire dans les différentes regions.
Nous
traiterons plus longuement de ces problèmes par la suite.
Nous
ne pourrons clairement développer notre sujet avant que le lecteur ait compris
les rapports entre la CNT et la FAI. La CNT (Confédération Nationale du
Travail) était une organisation de travailleurs révolutionnaires qui avait
pour but d’unir toutes les masses exploitées dans une lutte pour de
meilleures conditions économiques et de travail, ainsi que pour l’éventuelle
destruction du capitalisme et de l’État. Son but était le Communisme
Libertaire, son moyen, l’action directe indépendante de tout parti politique.
En tant que mouvement de masse (ce n’était pas qu’une formule, car elle
avait un million de membres en juillet 1936 et plus de deux millions et demi en
1938), on ne doit pas s’étonner que la CNT ait admis dans ses rangs ceux qui
appuyaient sa défense resolue et intransigeante des revendications des
travailleurs, sans toutefois être d’accord avec ses objectifs finals et
comptant sur les partis politiques pour l’application et la légalisation des
réformes sociales. En d’autres, termes, si tous les anarchistes de la FAI étaient
membres de la CNT, tous les membres de la CNT n’étaient pas anarchistes. Il
en ressort que, si pour établir quelle possibilité de révolution sociale
anarchiste il y eut en Espagne, ou même seulement en Catalogne, en juillet 36,
nous nous basons exclusivement sur le nombre, nous devons reconnaître que la
force numérique de la CNT ne reflétait pas seulement l’influence anarchiste.
Et indépendamment du fait que la moitié des travailleurs espagnols (exception
faite de la Catalogne où les travailleurs de la CNT étaient en nette majorité)
se trouvaient dans les rangs de l’UGT contrôlée par le Parti socialiste.
Il
était donc clair que, si la révolution sociale anarchiste n’était pas
acceptable par l’ensemble, les travailleurs avaient montré leur décision de
réaliser, dans les grandes lignes, une vaste et profonde révolution sociale,
qui, à la fin, devait conduire à une société fondée sur des principes
anarchistes. Et dans cette situation, le rôle des anarchistes, selon nous, était
d’appuyer, d’inciter, et d’encourager le développement de la révolution
sociale et d’empêcher toute tentative de l’État bourgeois capitaliste de
se réorganiser, ce qu’il aurait cherché à faire en replaçant ses moyens
d’action: l’appareil gouvernemental et toutes ses institutions parasitaires.
Le
pouvoir du gouvernement repose sur trois postulats principaux: il a la force armée
à ses ordres; il contrôle directement ou indirectement les moyens
d’information (presse, radio, téléphone, etc...) et il contrôle l’économie
de la nation. Durant ces jours de juillet, lourds d’événements, dans la zone
non occupée de l’Espagne, il ne commandait pas les forces armées et ne contrôlait
pas les moyens d’informations. L’économie du pays était aux mains des
travailleurs, exception faite des réserves financières que le Gouvernement
contrôlait encore «de jure». Nous avons déjà fait allusion à la question
de la réserve d’or. Plus on étudie l’histoire de la guerre d’Espagne,
plus on est frappé de la gravité de l’erreur commise par les organisations
ouvrières en ne s’emparant pas de cette réserve d’or, pendant les premiers
jours où elles étaient fortes au maximum alors que les forces du gouvernement
étaient faibles au maximum
15.
Nous
avons déjà donné des exemples de la manière dont les politiciens se
servirent de cette erreur dans la tactique révolutionnaire la plus élémentaire,
pour remonter au pouvoir; beaucoup d’autres apparaîtront au cours de cette étude.
A
la fin de juillet 1936, le coup d’État des généraux avait été étouffé
dans la moitié de l’Espagne, mais ailleurs les armées de Franco s’étaient
imposées par la terreur et les exécutions en masse, et se préparaient à
l’offensive contrele reste de la péninsule. Le succès de la revolution
sociale était donc subordonné à la capacité, d’abord de défendre le
territoire non occupé par les forces de Franco, et ensuite à celle de prendre
l’offensive contre les régions occupées par Franco. Comment organiser cette
lutte, dans les meilleures conditions était une question de la plus grande
importance pour les chefs de la CNT-FAI, et quelle que soit la critique des décisions
qu’ils prirent, on ne peut douter de leur bonne foi quand ils pensaient que
les concessions auraient assuré la victoire sur Franco.
Le
premier problème à affronter était que la lutte armée ne pouvait être menée
exclusivement par la CNT-FAI.
Il
est certain que de nombreux travailleurs de l’UGT et de quelques partis
politiques ayant participé à la lutte de rues étaient tout aussi décidés
qu’elles à anéantir les armées de Franco. Une base commune existait évidemment
entre la CNT-FAI et les autres organisations pour tout ce qui concernait la
lutte contre Franco. Mais il était également évident que les méthodes et les
raisons de lutte étaient différents. Les objectifs des partis politiques pour
anéantir Franco étaient d’abord d’empêcher qu’il établît sa dictature
sur le pays (et en cela les anarchistes ne pouvaient pas ne pas être
d’accord) mais ensuite, après la victoire, de créer un gouvernement dont la
nature dépendrait des opinions politiques du ou des partis qui auraient triomphé:
du fédéralisme professé par quelquesuns à la dictature absolue des
communistes.
Dans
un discours prononcé le 3 juillet 1937, Federica Montseny, anarchiste en vue et
à cette époque Ministre de la Santé au Gouvernement de Madrid parlait d’
«un
problème qui semble facile comparé à la guerre. Car la guerre, cause commune
contre un ennemi commun, a rendu possible la création et le maintien de
l’unité de toutes les forces antifascistes: républicains, socialistes,
communistes et anarchistes. Mais imaginez le panorama des forces idéologiques
différentes qui chercheront à s’imposer, l’une contre l’autre, une fois
la guerre finie. Dès que la guerre cessera en Espagne, le problème surgira
avec les mêmes caractéristiques qu’en France et en Russie. Nous devons nous
y préparer dès maintenant. Nous devons déclarer notre point de vue afin que
les autres organisations sachent ce qui les attend. Nous devons chercher un
accord, un point de contact qui nous permette la plus grande liberté et avec un
minimum de plans économiques pour continuer notre chemin jusqu’à en
atteindre le but
16».
Nous
ne pensons pas que Federica Montseny était sincère en déclarent que la cause
commune ―la guerre― avait rendu possible «la création et le
maintien de l’unité de toutes les forces antifascistes».
Il
y avait déjà trop de preuves du contraire. En tout cas, ce qu’elle affirmait
en des termes que nous ne mettons pas en doute, c’était l’inévitable
combat pour le pouvoir entre les forces antifranquistes, une fois la victoire
obtenue. Cet intérêt pour les problèmes d’«après-guerre» fut exprimé
encore plus efficacement par un autre ministre anarchiste, Juan Peiro. Selon lui
«le
risque du peuple espagnol d’être soumis à un régime fasciste sera
infiniment plus grand à la fin de la guerre que maintenant dans sa période
cruciale».
Donc,
pour la réussite de la révolution, les travailleurs devaient sortir de la
lutte armée contre Franco plus forts qu’auparavant, et devaient
s’assurer que les partis politiques en sortiraient plus faibles. Il en
résulta qu’au cours de la «guerre» les organisations ouvrières auraient dû
renforcer leur contrôle sur la vie économique du pays; c’est-à-dire que,
comme producteur de la richesse économique, elles auraient dû consolider leur
contrôle sur les moyens de production; et en même temps s’assurer que le
contrôle de la lutte armée, où elles étaient tout autant combattantes que
productrices dans les industries de guerre, ne se développât pas au point de
renforcer les institutions gouvernementales en laissant aux politiciens le contrôle
des forces armées.
La
collaboration de la CNT-FAI au Gouvernement, pour autant que nous puissions en
juger par les témoignages, n’eut comme résultat aucune amélioration de la
situation militaire. Cependant, elle ajouta certainement du prestige au
Gouvernement et affaiblit la CNT-FAI en tant qu’organisation révolutionnaire
aux yeux des travailleurs. A cet egard, la position de Peiro nest pas sans intérêt.
Dans son ouvrage «Problemas y Cintarazos
*»
il défend à plusieurs reprises la thèse anticollaborationniste:
*
Le livre devait être publié à Barcelone le 26 janvier 1939, jour où les franquistes prirent la ville, deux exemplaires
purent être sauvés.
«Ceux
qui croient que sans coparticipation à la responsabilité gouvernementale, la
CNT eût perdu des positions fort légitimes, se trompent. La matérialité de
la force ne prend pas ses racines dans la force même mais dans l’autorité
morale, et l’autorité morale de la CNT serait maintenant immensément plus
grande si elle avait collaboré avec noblesse et abnégation comme elle
l’avait toujours fait, sans désirer ni accepter de portefeuilles, de secrétariats,
de charges... La CNT a trop de personnalité pour que personne ne tienne compte
de sa conduite et on en aurait tenu beaucoup plus
compte qu’à certains moments durant ces deux ans de guerre.»
(p. 42)
Pour
comprendre ce que Peiro avait en vue, nous devons ajouter que, à l’oppose de
cette position anticollaborationniste à l’époque de la lutte contre Franco,
quand, selon ses propres paroles déjà citées, le «danger pour le peuple
espagnol» d’être assujetti à un régime fasciste était le plus grand, il
soutenait cependant qu’après la victoire
«je
crois nécessaire la collaboration inconditionnelle, la plus directe possible,
au gouvernement de la République»
(p. 45)
L’
anticollaborationnisme de Peiro se montre donc dans sa vraie lumière: non comme
une question de principe, mais de tactique. Pour nous, l’important n’est pas
de critiquer Peiro comme révisionniste, car il ne cherche pas à cacher ce
fait, mais dans l’acceptation implicite de sa tactique anticollaborationniste
selon laquelle le combat contre le fascisme n’aurait pu être mené par la
CNT-FAI à tout prix, mais qu’au contraire la confédération devait
sortir de la victoire avec «trop de personnalité», afin de se trouver en
position de force vis-à-vis du gouvernement d’après-guerre.
Telle
n’était pas cependant l’attitude des dirigeants de la CNT, hypnotisés par
le slogan «sacrificamos a todo menos a la victoria» (nous sacrifions tout sauf
la victoire). Selon nous, ils se trompèrent aussi en orientant la propagande
sur le slogan de la «guerre antifasciste», pour affirmer, comme le fit
Federica Montseny à la reunion à laquelle nous avons déjà fait allusion, que
«le combat est si grand que le triomphe sur le fascisme vaut à lui seul le
sacrifice de nos vies». Le système, dont le fascisme est une expression, est
certainement un ennemi tout aussi dangereux pour les travailleurs révolutionnaires.
Mais les conséquences de l’attitude adoptée par les dirigeants s’avérèrent être une «unité» unilaterale où la CNT-FAI fit toutes les concessions et d’où les partis politiques tirèrent les bénéfices. La «guerre» alla de mal en pis et enfin quand les forces du Gouvernement, virtuellement contrôlées par les communistes, furent assez fortes, elles déclarèrent la guerre à la Révolution sociale.
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