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REGRESE A LIBROS


 

IV

 

VILLES ET RÉALISATIONS ÉPARSES

 

Dans la variéte des structures de reconstruction sociale l'organisation que nous appellerons municipaliste, que nous pouvons aussi appeler communaliste, et qui plonge ses racines dans des traditions espagnoles demeurées vivantes, mérite une place à part. Elle se caracterise par le rôle. éminent de la ville, de la commune, du municipe, c'est-à-dire par la predominance de l'organisation locale, qui embrasse l'ensemble de la cité. Les autres institutions, même les plus. modernes et qui, parce qu'elles sont les plus modernes, ne sont pas aussi profondément enracinées: syndicats, coopératives, communautés même-sont une partie de l'ensemble, sauf certaines collectivités, particulièrement aragonaises, mais ne sont pas l'ensemble, n'incarnent pas l'âme collective. C'est ce que nous voyons dans une petite ville industrielle comme Granollers, en Catalogne (18.000 habitants); dans un village important comme Binéfàr, en Aragon, ou dans des capitales de province, plus peuplées mais proportionnellement moins industrialisées, comme Castellon de la Plana ou Alicante, dans le Levant. Même quan le Syndicat existe, et joue un rôle important, il ne dirige pas la totalité de la vie sociale, contrairement aux conceptions des théoriciens du syndicalisme.

Dans certains cas, comme a Fraga, comme à Rubi, l'organisation directe de la cité, embràsant le tout, se confond avec celle de la collectivité productrice, et l'on pourrait dire que les deux structures s'interpénètrent. Localement, l'autodétermination de l'ensemble s'est affirmée, et l'organisation de la ville confirmée, ce qui renforce sa personnalité devant l'Etat, ainsi que les libertés et la pratique de l'indépendance quant à la vie sociale.

 

Elda et le S. I. C. E. P.

 

Située dans la province d'Alicante, Elda est une petite ville qui compte vingt-cinq mille habitants. C'est à la fois, par les moyens de transport qui rayonnent autour d'elle, et l'utilisation d'un petit fleuve côtier, qui produit l'énergie électrique, le centre d'une zone agricole et de production industrielle.

Comme il arrive si fréquemment dans la région levantine espagnole, notre mouvement y est solidement implanté depuis près de trois quarts de siècle. Elda a été le théâtre de conflits sociaux, de grèves historiques parfois formidables comme seule l'Espagne a su en donner l'exemple. Des combats empreints d'une extraordinaire grandeur s'y sont livrés, tel celui soutenu pendant trois mois par les travailleurs de l'industrie de la chaussure, pour exiger que soit réintégré à son travail un militant boycotté par le patronat. Il ne faut jamais oublier que les raisons morales ont, au moins autant que les raisons matérielles, inspiré et soutenu les activités des syndicats fondés et animés par les libertaires espagnols.

Avec de tels antécédents et une telle pratique de la lutte, il était naturel que, le danger fasciste jugulé, du moins à l'échelle locale, et nos camarades étant, comme les républicains et les socialistes, convaincus que Franco ne tarderait pas à être battu 1, entreprennent la transformation sociale pour laquelle ils luttaient depuis longtemps. Toutefois, la situation politique n'était pas la même à Elda qu'à Alcoy, qui n'est pas loin; et d'autre part nos camarades avaient conservé un vieux fonds d'esprit communaliste que l'on retrouve, à côté de conceptions plus modernes, dans l'oeuvre historique des sociologues libertaires. Ces raisons et le désir, si généralisé dans la population, de maintenir le front uni antifranquiste tant que la lutte durerait à l'échelle nationale, firent que les libeitaires d'Elda acceptèrent d'entrer au conseil municipal rénové sous la pression des circonstances.

1 Les gouvernements républicains se livrèrerit à une démagogie qui trompa complètement les masses, et ne contribua pas peu à la défaite finale.

On désigna les représentants des différents mouvements et partis. L'Union générale des travailleurs eut cinq délégues, et cinq la C. N. T., pourtant plus importante. La Gauche republicaine, dont le chef était Manuel Azafia, revêche président de la république, en eut deux, comme le parti socialiste; le parti communiste en eut un seul: il était de loin le plus faible.

Dans cette répartition, le courant socialiste était quelque peu avantagé, car les membres de l'U. G. T. agissaient habituellement de concert avec le parti socialiste qui, en réalité, avait en main cette organisation syndicale. Mais d'autre part, la situation inclinait souvent les Syndicats réformistes de l'U. G. T. à suivre les révolutionnaires (quoique on puisse aussi citer bien des exemples, dont ce livre fourmille, où ces mêmes réformistes constituaient les élements de résistance à la socialisation).

Il n'en fut pas de même ici. Toutefois, dès le premier moment, l'initiative de la nouvelle construction sociale vint, naturellement, de nos camarades. C'est sans doute pourquoi, comme à Granollers, comme à Gérone, comme à Hospitalet, comme à Valence et à d'autres endroits le maire fut un libertaire.

Les nouveaux conseillers commencèrent à transformer de fond en comble la structure de l'organisme municipal. Jusqu'alors il avait éte surtout un foyer de petite bureaucratie inerte, sans initiative et inorganisée. Le maire avait bien deux adjoints, et un conseiller qui devait le guider dans ses activités, mais ce petit monde dormait du sommeil des petites villes provinciales monarchistes ou  républicaines. Les traditions furent donc bousculées, et le conseil structuré à peu près comme dans les villages collectivisés, par grands groupements d'activites. On constitua, d'abord la section de défens puis celle de l'instruction publique, celle du travail d'après la situation économico-sociale de la localité, celle de l'agriculture, celle de la salubrité et de l'assistance sociale.

Jusqu'alors, l'instruction publique avait été plus que délaissée, et de nombreux enfants n'allaient pas à l'école. La section municipale correspondante s'attaqua à ce problème sans s'arrêter aux dépenses, fit appel aux travailleurs – c'est­à-dire au Syndicat - du bâtiment, et au bout de cinq mois deux nouveaux établissements scolaires étaient disponibles, dont un pour quatre cents et l'autre pour soixante-dix enfants. On aurait fait plus si l'on n'avait été obligé de réquisitionner le Cercle où auparavant se réunissaient les couches sociales «supérieures» d'Elda, pour y loger les miliciens à l'entraînement avant le départ au front.. Et puis il fallut, en même temps, organiser des centres d'hébergement pour les petits Madrilenes qui figuraient parmi les 1.500 réfugiés partis pour décongestionner la ville assiégée. L'Ateneo libertaire et la Fédération locale des syndicats durent mettre leurs locaux à la disposition de ces hôtes inattendus.

Toutes ces difficultés n'ont pas empêché la section de la salubrité et de l'hygiène de réformer l'organisation de l'hôpital, jusqu'alors si largement insuffisant. Trois nouveaux médecins ont été engagés, ainsi que deux auxiliaires et deux sages femmes, dont les soins sont gratis, ce qui est nouveau. On pro'jetait, dans les premiers mois de 1937, l'installation de sanatoriums et de cliniques. En un mot, on marcha hardiment vers la socialisation municipale de la médecine.

Mais Elda, avons-nous dit, est un centre industriel. Autour de ce centre, renommé pour l'importante industrie de la chaussure qui s'y est développée, pour ses tanneries, ses industries du cuir, gravitent quatre autres localités, moins importantes, dont l'industrie dominante est la même, et dont une partie des travailleurs est employée dans les fabriques d'Elda. Ce sont Petrel, Monovar, Novelda et Sax. La seule petite ville de Petrel compte 3.500 travailleurs et travailleuses de la chaussure, Monovar, Novelda et Sax, 2.000; Elda en compte 7.500, dont 4.500 adhèrent à la C. N. T. Mais les réalisations sociales, importantes, n'ont pu se faire de façon uniforme.

Ces réalisations se présentent sous deux aspects différents. On trouve à Elda un groupement de douze fabriques intégralement socialisées, et qui occupent 2.800 travailleurs. Leur organisation rappelle ce que l'on a déjà vu dans d'autres cas, d'après les caractéristiques du travail. Chaque fabrique a à sa tête un comité composé de cinq délégués techniques (nos camarades insistent beaucoup sur cet adjectif, qui ôte à la délégation tout caractère autoritaire) représentant les cinq opérations principales de la fabrication des chaussures. A ces cinq délégués on en ajouta un sixième, représentant le travail et les travailleurs du magasinage.

Les douze fabriques socialisées sont donc dirigees par ces douze comités que contrôlent les assemblées ordinaires et extraordinaires des travailleurs. En même temps, ces douze comités agissent de concert avec le syndicat qui coordonne le travail, centralisant les statistiques de production, et de réserves. On allie ainsi l'autonomie possible dans l'organisation des activités à la solidarité dans l'effort collectif.

Naturellement, les fabriques ne commercent pas pour leur compte. Toutes les opérations de vente se pratiquent sous la responsabilité du Syndicat.

C'est dans les fabriques socialisées d'Alcoy que j'ai connu L'existence d'un genre de délégation nouveau: la délégation morale. Dans chaque entreprise deux travailleurs, un de l'U. G. T. et un de la C. N. T. élus par leurs camarades, étaient chargés, sans pour cela cesser de travailler, de maintenir la cordialité dans les rapports, de susciter l'enthousiasme et l'esprit de concorde, de stimuler, s'il le fallait, le sens des responsabilités. Et pourtant, cette précaution n'était sans doute pas nécessaire. «Il n'y a pas eu besoin d'imposer une discipline quelconque, me disent mes camarades, car dès le premier moment est apparue cette autodiscipline qui vient de la conviction que l'on travaille pour la communauté.»

A part quelques détails qui ont toujours leur importance, le mode d'organisation que nous avons rapidement décrit n'est pas différent de ce que nous avons déjà vu ailleurs. Mais la plus grande originalite de ce qui s'est fait à Elda a eté la création du S. I. C. E. P. (sigle. de «Syndicat de l'Industrie de la chaussure d'Elda et de Petrel»).

Ce Syndicat est plutôt un consortium d'un nouveau genre. Il fut fondé dès les mois d'août 1936, un mois après le début des événements qui secouent maintenant l'Espagne. L'industrie de la chaussure, qui déjà travaillait à 60 % de sa capacite de production, était menacée de paralysie générale. Avec elle, toute la vie économique chancelait, et l'ordre nouveau dont le maintien était indispensable pour empêcher le fascisme de marquer des points. C'est alors que, sur l'initiative de la C. N. T., et d'accord avec l'U. G. T., il fut décidé que toutes les disponibilités devaient être réunies pour empêcher un effondrement dont les conséquences seraient tres graves. Et grâce à la garantie des deux organisations syndicales, on obtint que les patrons, sur la garantie de leurs biens mobiliers et immobiliers empruntent aux banques locales les sommes necessaires pour faire face à la situation. Les syndicats s'engageaient comme co-responsables. Ajoutons que le ministère de l'Industrie accorda un crédit de sept millions de pesetas.

Il fallait disposer de 575.000 pesetas par semaine, dont 300.000 pour les salaires. Alors seulement on pourrait remettre la production en marche, ou la maintenir. Mais tout cela demandait une coordination nécessaire dans les efforts economiques et financiers, ainsi que dans la direction du travail.

On constitua donc le S. I. C. E. P. qui embrasse quatre-vingts établissements, petits et grands, disséminés dans la région, et, dans les quatre localités que nous avons nommées, 12.500 travailleurs et travailleuses.

Constitué par les fabriques qui en sont encore au stade du contrôle (les patrons demeurent, mais servent surtout à fournir des fonds extraits de leurs comptes bancaires), le S. I. C. E. P., dont la direction effective est aux mains des délégués des travailleurs, centralise et coordonne toute la production. Il achète et distribue les matières premières selon les besoins et la spécialisation des entreprises, il effectue les paiements et paye les dettes. Il touche le produit des ventes, ne donnant aux patrons rien qui puisse ressembler à un bénéfice. Disons du reste que ce bénéfice est impossible dans la situation présente, car les fabriques non socialisées chôment plusieurs jours par semaine, et le S. I. C. E. P. les soutient, grâce à l'aide des fabriques socialisées, en distribuant le produit des commandes de chaussures militaires pour l'armée faites par le gouvernement.

Pour trouver de nouveaux acheteurs, la S. I. C. E. P. a travaillé intensément. Ayant demandé aux fabriques de créer de nouveaux modèles de chaussures, il en reçut neuf cents, et l'on parvint, par une organisation commerciale qui s'étend des côtes de la mer Cantabrique, sur l'Atlantique nord, à l'Afrique du Nord, à placer des stocks assez importants. Mais pas assez pourtant pour échapper aux difficultés causées par la guerre. Maintenant les entrepôts que le S. I. C. E. P. possède à Elda, Valence, Barcelone, ainsi que les magasins de ses fabriques sont pleins de marchandises qui ne se vendent pas, et dont la valeur atteint dix millions de pesetas.

La guerre se prolongeant, il est impossible de savoir comment terminera cette expérience d'organisation collective. En attendant, les travailleurs, et les syndicats libertaires ont trouvé non seulement pour l'organisation du travail, mais même pour faire momentanément face à une situation catastrophique, des palliatifs ouvrant la voie à une solution braquée sur la justice sociale. Si Franco triomphe, cela n'enlèvera rien aux démonstrations positives qui auront été faites en Espagne libertaire dans la période 1936-1939.

 

Granollers

 

Situé un peu au nord de Barcelone, Granollers, qui comptait 18.000 habitants en 1936, était à la fois un chef-lieu de canton, un axe commercial important et un centre industriel, comme il en est tant dans cette partie de la Catalogne. Notre mouvement y remontait au début du socialisme en Espagne: c'est-à-dire vers 1870. Comme presque partout, l'activité syndicale y domina, avec des luttes âpres, des efforts d'organisation tenaces, des répressions, des périodes creuses et des renaissances magnifiques. L'importance de nos effectifs varia selon les circonstances.

Mais depuis longtemps, le nombre de travailleurs adhérant à la C. N. T. s'élevait en moyenne à 3.000. Il avait été moindre pendant la période de dictature du général Primo de Rivera, et aussi, apres une recrudescence passagère, sous la deuxième République dont le premier gouvernement, socialiste et républicain, puis le second, ouvertement droitier, sévirent avec une égale rigueur, qui rappelait les plus mauvais jours de la monarchie. Si bien qu'en juillet 1936, malgré la recente amnistie qui avait fait sortir de prison 30.000 libertaires, nos adhérents aux Syndicats de Granollers ne dépassaient pas 2.000.

Puis ce fut le déclenchement de la guerre civile et de la révolution. Et bientôt les Syndicats de la C. N. T. groupaient 6.000 travailleurs d'usines,. d'ateliers, du bâtiment, des transports, etc. Les autres - techniciens se sentant une classe à part, employés de la municipalité et de l'Etat, bureaucrates adhéraient à l'U. G. T., au nombre de 1.000.

Nos militants, des travailleurs éclairés et illuminés par l'idéal, avaient toujours fait preuve de leur capacité organisatrice. Mais la guerre s'imposait avant tout. La plupart d'entre eux partirent sans attendre au front d'Aragon, pour arrêter la progression des armées commandées par Franco.

Il ne resta que six ou sept de ceux qui, dans les syndicats, jouaient un rôle de premier ordre, à l'échelle locale et régionale. Toutefois, un esprit libertaire s'était formé chez une partie de la population, avec une conscience très nette de nos buts d'émancipation humaine. Aussi, deux jours exactement après la cessation des combats de Barcelone, c'est-à-dire le 22 juillet 1936, les travailleurs du bâtiment décidèrent - et ce fut historiquement une des premières initiatives de ce genre de socialiser leur travail. Ils convoquèrent une assemblée à laquelle ils invitèrent les patrons, généralement de petits entrepreneurs et leur proposèrent de «collectiviser» syndicalement toutes, les activités de la construction. Et, ce qui peut paraître stupéfiant, les patrons acceptèrent d'emblée. A tel point l'esprit publc était, dans certaines régions d'Espagne, saturé des idées de transformation sociale.

Puis, le mernc fait se produisit, immédiatement après dans l'imprimerie. Et ce fut le tour des magasins de vente des chaussures; et cela s'étendit, comme un miracle, dans toutes les branches du travail, et des activités humaines où jusqu'alors les classes sociales s'étaient opposées. De telles dates devraient être immortalisées.

Granollers se socialisa donc, mais a sa façon; et cela mérite qu'on s'y arrête.

Comme on l'a vu, au départ, et dans la plupart des cas, les Syndicats furent à la fois l'élément initiateur et directeur de crétions nouvells. D'où le terme de «syndicalisation» que nous employons à dessein afin d'éviter certaines confusions fruits des différents chemins empruntés ou suivis, particulièrement en Catalogne. Mais cette conception syndicalisatrice s'accompagnait du communalisme qui, souvent, tenait peut-être la première place. C'est pourquoi, nos camarades de Granollers s'étaient mis en tête de réaliser un plan de structure communale, proposé par notre camarade le docteur Isaac Puente 1, propagandiste de talent, qui avait élaboré une conception de la cité future dans une série d'articles publiés par la revue Estudios, où il préconisait une réorganisation de la société sur la base des communes fédérées. Ces articles avaient été réunis en un opuscule d'une soixantaine de pages, dont le titre était Le Communisme libertaire, et leur contenu très clair, très séduisant, complété par des schemas et des graphiques, avait été retenu par de nombreux libertaires.

1 Fusillé par les fascistes.

En vérité, malgré des indications tres positives à l'échelle locale, ces propositions étaient insuffisantes si l'on abordait l'économie avec un critère d'économiste, en tenant compte de la solidarité organique existant sur le plan d'une nation; et, d'autre part, l'existence des fédérations d'industrie qui précisément tendait à cette organisation sur le plan général de l'Espagne entière, était aussi en contradiction avec cette vision limitée des choses.

Mais justement parce qu'elles étaient communalistes, les conceptions d'Isaac Puente furent mieux comprises et plus facilement acceptées lorsque nos camarades de Granollers proposèrent aux autres secteurs antifascistes de les réaliser. Et lorsque J'auteur de ce livre alla sur place étudier l'organisation et le fonctionnement de la nouvelle organisation sociale, il constata, d'une part, que l'exploitation de l'homme par l'homme avait disparu, qu'il n'y avait plus de patrons et de salaries, et, d'autre part, que tous les antifascistes y compris notre mouvement s'étaient réunis fraternellement, au sein du conseil municipal, qui avait la haute main sur l'ensemble de la vie locale.

L'administration générale de Granollers était dirigée par onze départements embrassant l'ensemble des activités sociales, établis au conseil municipal, et que composaient vingt-deux délégues: six-de la gauche républicaine (Parti de Manuel Azaûa), six de la C. N. T., quatre de l'U. G. T., deux de l'Union des métayers «(rebassaires» catalans, qui ne demandaient qu'à devenir propriétaires de la terre qu'ils travaillaient) et deux du P. O. U. M. (Parti ouvrier d'Unification marxiste), que l'on peut classer comme trotskisant.

Sur les onze départements, cinq avaient été confiés à la C. N. T., ce qui montre quel était son poids, plus économique et social que politique. En outre, cette organisation, toujours entreprenante, avait constitué, en marge, un Conseil d'économie constitué sur la base d'un délégue par Syndicat, car les Syndicats étaient le moteur de toutes les industries locales.

Ce Conseil se réunit toutes les semaines avec le responsable du département municipal correspondant. Section municipale et Conseil coordonnent leurs efforts; mais en fait l'initiative vient généralement de nos camarades et de l'assemblée générale de la Fédération locale des Syndicats de la C. N. T., qui est le plus au courant de tout ce qui concerne la production et l'organisation du travail.

La section économie de la commune a constitué un «bureau technique», composé de trois spécialistes, et qui, d'accord avec le Conseil d'économie syndical, oriente le travail des entreprises industrielles. Des graphiques, des diagrammes correspondant à chaque industrie, sont constamment aux mains des spécialistes, et si vous demandez des informations sur une industrie ou une autre, on vous montre immédiatement des schémas aux couleurs diverses, chacun correspondant à une industrie et où les entreprises sont localisées de façon à constituer un réseau d'activités coordonnées.

Ainsi dirigés, toutes les entreprises, fabriques et ateliers sont passés intégralement aux mains des travailleurs et en même temps appartiennent à la municipalité. Et les grandes décisions sur ce qu'il convient et ne convient pas de faire ne sont pas le seul fruit de l'Initiative syndicale, si bien qu'au dessus de cette dernière ce sont les intérêts qui, en fin de comptes, dirigent le tout. Mais reconnaissons que la tolérance mutuelle que l'on trouve ici est assez exceptionnelle.

 

*

 

Le Syndicat est un animateur perpétuel. C'est à lui que l'on doit nombre d'initiatives tendant à améliorer la marche et la structure de l'économie locale. Ainsi, en très peu de temps, sept établissements collectifs de coiffure ont été organisés par ses soins, remplaçant un nombre indéfini de boutiques à l'aspect moyenâgeux. Tous les ateliers ou minifabriques de chaussures ont été remplacés par une seule grande fabrique dans laquelle on a concentré les meilleures machines, et assuré l'hygiene nécessaire à la santé des travailleurs. Réforme identique dans la métallurgie où les nombreuses petites fonderies sombres et étouffantes ont fait place à quelques grandes unités de travail dans lesquelles l'air et le soleil entrent à flots. Les ateliers de menuiserie et d'ébénisterie ont subi les mêmes changements. La socialisation va de pair avec la rationalisation.

Cette réorganisation industrielle n'a pas fait négliger les innovations qu'imposaient les circonstances dans le mécanisme de la distribution. Elles apparurent nécessaires, dès le premier moment, à la section correspondante du Conseil municipal, pour des raisons de justice sociale. Si l'on acceptait de construire un ordre social plus juste, il fallait que tous les habitants de Granollers pussent avoir les mêmes possibilités de se nourrir. Aussi, les membres du bureau d'Economie de la municipalité, qui travaillaient avec acharnement quatorze heures par jour, en vivant l'aventure passionnante de créer un monde nouveau, m'ont-ils fait voir sur le plan de la ville, étalé pour moi, sur un bureau, cinq taches noires. Chacune de ces taches représente un magasin communal de distribution. Ces cinq magasins, distribués par quartiers, selon l'importance de la population, remplacent le petit commerce, un peu trop pléthorique auparavant.

On avait commencé par une mesure de base que du reste nous retrouverons en d'autres endroits, dès le début, le con'seiller à l'agriculture acheta aux paysans des alentours - qui, très individualistes et très méfiants, ne s'organisaient pas collectivement - les produits de leur travail. L'intermédiaire vorace, le rabatteur, l'acheteur spéculateur, a donc completement disparu. Mais on veut aussi qu'il disparaisse entre le producteur et le consommateur. Une circonstance s'y preta, et justifia les mesures nouvelles: le rationnement des vivres imposé par la guerre, rationnement qui fit, sagement, prendre à temps les mesures nécessaires pour éviter la disette 2 .

2  Rappelons que la Catalogne, essentiellement industrielle, et même une bonne partie du Levant ne produisaient ni le blé, ni la viande, ni les légumes secs qu'ils consommaient. Cela pèsera bientôt sur la situation.

On créa donc un bureau de ravitaillement qui commença par contrôler les produits reçus et vendus par les commerçants. Puis on établit un fichier, admirablement organisé, où étaient consignés le nombre et l'âge des membres de chaque famille. La quantité et le genre d'aliments auquel chacun avait droit furent stipulés d'accord avec les médecins. Et sur ces bases, toutes les semaines, chaque famille reçoit un carnet, où est spécifiée la quantité de pain, d'huile, de légumes secs, de charcuterie, etc., qu'elle peut obtenir. Toujours sur la même base, on sait combien la ville consomme par jour et par semaine de différents aliments, combien il faut s'en procurer régulièrement, et pour quelles dates successives.

 Le même contrôle continue de s'exercer quant aux quantités de vivres entrant dans les magasins communaux. Si bien que l'on connaît, kilo par kilo, le poids des articles alimentaires reçus et distribues.

C'est aussi par cette voie que la partie de socialisation, qu'il est possible de faire admettre aux paysans, entre dans la campagne, car les paysans accueillent avec satisfaction la suppression des intermédiaires. Dans la majorité des 42 villages qui composent le canton, le commerce traditionnel a disparu.

Les bénéfices obtenus sur la vente des articles divers fournissent au Conseil municipal les ressources nécessaires à d'autres tâches communales. Rien ne reste livré à l'isolement, à la détresse. Les commerçants, obligés de fermer boutique par la concurrence ou les mesures municipales 3 a se voient immédiatement confier des fonctions plus utiles-ne serait-ce que dans les centres de distribution. Personne ne reste sans travail, et le chômage qui sévissait lourdement avant le 19 juillet a complètement disparu. Tous les ouvriers, qu'ils travaillent ou non le nombre d'heures habituellement réglementaires, ont, grace aux principes de l'égalité des rétributions, leur existence matérielle assurée.

3 Un des moyens employés consisteà ne plus les ravitailler, et à réserver les marchandises qu'on pouvait se procurer aux magasins communaux.

Comme ceux que j'ai vus partout, mes camarades de Granollers ont pensé à l'instruction publique. Les écoles de Granollers étaient insuffisantes et vieilles, insalubres, mal éclairées. En revanche, il y avait trois couvents confortables et solidement bâtis, dont les occupants s'étaient volatilisés. On les a réformés; on en a fait trois beaux établissements scolaires dont les salles de classe contiennent tous les enfants de la ville. On a même de la place pour de nouveaux élèves.

Les classes, que j'ai visitées, sont spacieuses, lumineuses, ensoleillées. On y a installé un matériel pédagogique moderne, et le regard s'attendrit devant des petites tables carrées et mobiles pour les enfants en bas âge, et les petites chaises proportionnées a la taille des utilisateurs. Les galeries internes, la salle de douches, les cours, les lavabos, le chauffage central, tout cela a été fait, installe, ou acheté en quelques mois.

Les premières dépenses se sont élevées à 300.000 pesetas. D'autres ont ete engagées. Car Granollers veut avoir un avenir radieux.

P.-S. - Granollers fut, par la suite, rasé par l'aviation franquiste.

 

Hospitalet del LLobregat

 

Au sud de Barcelone, Hospitalet étendait ses trois quartiers nettement différencies, où vivaient cinquante mille habitants. Les industries y occupaient 13.000 des 14.000 salariés recensés. Mille autres étaient employés dans la culture intensive des terres maraîchères qui contribuent à nourrir la grande ville voisine.

Les filatures absorbaient le plus grand nombre d'ouvriers. Mais la métallurgie s'était aussi développée. On trouvait deux hauts fourneaux, des fonderies, des ateliers de mécanique. L'ébénisterie, le bâtiment, l'industrie chimique complétaient l'ensemble de cette activité productrice.

Hospitalet s'était formé depuis peu. Le mouvement social ne remontait qu'à la période de la Première Guerre mondiale. Mais, dès avant la révolution, la C. N. T. et la F. A. I. y exerçaient une activité sociale intense. Le 18 juillet, la première comptait 8.000 adhérents; huit mois plus tard, elle en comptera 12.000; l'U. G. T., que socialistes officiels et communistes s'efforçaient fiévreusement de développer, en comptait 1.000.

La lutte locale et l'état d'alerte qui suivirent lattaque fasciste mobilisèrent la population pendant cinq ou six jours au bout desquels la C. N. T. donna, comme dans les autres localités catalanes, l'ordre de reprendre le travail. Prolonger la greve générale l'aurait été au détriment des travailleurs eux mêmes, qui assumaient leur destin. Et ainsi, la responsabilite de la vie économique et sociale passait des mains des patrons et du gouvernement à celle des ouvriers.

Mais pendant qu'on reprenait le travail, et remettait en route ateliers, usines et fabriques, les forces populaires continuèrent de monter la garde derrière des barricades, exerçant particulièrement leur surveillance sur deux routes menant à Barcelone, afin d'empêcher toute concentration d'ennernis, d'enrayer toute avance offensive sur les grands centres.

C'est au milieu de cet état de choses que la révolution constructive commença.

Elle débuta par l'agriculture; celle-ci était aux mains de très nombreux petits propriétaires qui employaient des salariés specialisés (donc rien de commun avec les grands «latifundia» d'Aragon, de Castille, d'Andalousie ou d'Estrémadure). Et tout comme les patrons d'ateliers et d'usines délaissaient devant la menace d'expropriation qu'ils pressentaient, la production, les propriétaires de la terre délaissaient leurs cultures que le soleil grillait, l'irrigation manquant, ou que les herbes commencèrent à envahir.

D'autre part, le quart des travailleurs agricoles chômaient, et une partie ne travaillaient que trois jours par semaine. Chômeurs et non-chômeurs convoquèrent donc une assemblée à laquelle furent invités aussi les petits patrons agriculteurs, et où tous décidèrent de socialiser immédiatement le travail de la terre.

Et la «Collectivite des Paysans» naquit; ex-employeurs et ex-salaries s'y inscrivirent comme égaux, et l'on adhéra à la C. N. T. dont les militants étaient, une fois de plus, les meilleurs organisateurs.

La technique du travail changea immédiatement. La grande étendue cultivée daprès une planification générale succéda aux parcelles travaillées par le propriétaire isolé, et souvent mal outillé, ou par le journalier embauché deux ou trois fois par semaine.

Mais l'argent subsistait en Catalogne, et était un instrument indispensable pour obtenir des machines, des outils, des bêtes de trait, ou des moyens d'existence en attendant les récoltes. On mit à contribution tous les moyens, y compiis les ressources dont disposaient les anciens propriétaires, et comprenant qu'un effort inhabituel s'imposait, car une révolution sociale n'est pas un festival, on repoussa, comme le firent les travailleurs de Barcelone, l'augmentation de salaire de 15 % et l'établissement de la journée de six heures démagogiquement décrétes par le gouvernement catalan, qui démontra, par cette tentative de captation des masses, son habileté politicienne, et son ignorance des problèmes les plus essentiels.

Depuis lors, les travailleurs de la Collectivité agraire, organisés en «brigades», comme ceux des communautés de Tarragone et de Tortosa, également catalanes, ont nûs au point leur organisation. Les brigades partent le matin, chacune à sa tâche, d'apres les besoins les plus urgents du travail. La surface cultivée a augmenté du tiers. Elle s'étend maintenant sur 1.470 hectares, divisés en 38 zones, dont 35 irriguées et trois de terre sèche. De vastes travaux, dont la canalisation du rio LLobregat, doivent être entrepris.

*

 

Les industries locales sont passées par les étapes qui furent presque générales dans cette révolution. Ce fut d'abord le contrôle des entreprises, petites ou grandes, par le Comité que nommèrent les travailleurs employés sur place. Cela, pour les fabriques les plus prospères; celles dont le personnel était en chômage partiel - il y en avait beaucoup - furent immédiatement collectivisées, et leurs propriétaires assimilés aux producteurs.

Simultanément, la C. N. T. et la F. A. I. creaient les Conseils d'intensification de la production, qui obligeaient les patrons contrôlés à embaucher les chômeurs. Mais cette mesure ne pouvait donner de résultats durables, car le manque de matières premières dans l'industrie textile, et l'absence de débouchés pour les tissus fabriqués devaient forcément provoquer une diminution du rendement et des ventes aux dépens de l'économie générale.

D'autre part, et toujours sur l'initiative de la C. N. T., on créa des Commissions populaires de Ravitaillement, organisées par la municipalité dans laquelle étaient entrés nos camarades. Ces Commissions avaient pour mission de fournir des aliments aux sans-travail, elles furent maintenues par la suite, car l'arrivée de nombreux réfugiés de la région aragonaise envahie par les armées, franquistes provoqua une nouvelle sorte de chômage.

Nous avons vu que les entreprises collectivisées eurent d'abord à leur tête des Comités nommés par les travailleurs qui y étaient employés. On continua donc les opérations de production et de vente de chacune d'elles. Mais tres vite on comprit que cette situation faisait apparaître entre les fabriques une concurrence, ou un manque de solidarité qui donnaient lieu à des rivalités incompatibles avec l'esprit socialiste et libertaire. Alors la C. N. T. locale lança la consigne: «Il faut ramifier toutes les industries dans les syndicats, socialiser complètement, établir une fois pour toutes le régime de solidarité que nous avons toujours préconisé.»  

L'idée prit rapidement. Les coiffeurs commencèrent, puis les travailleurs du spectacle, quel que fût leur métier, et ceux du bois (ébénistes, menuisiers, charpentiers), du bâtiment, de l'alimentation, des transports urbains. En janvier 1937, la métallurgie se joignait au mouvement. L'industrie chimique ne le fit que plus tard.

Dans des circonstances aussi complexes, des problèmes inattendus se posent, et s'imposent. A Hospitalet, comme ailleurs, et étant donné le bouleversement économique, certaines industries sont prospères, d'autres sont déficitaires. Des ouvriers et leur famille sont mieux rétribués que d'autres. Pour remédier à cette injustice, on décida le salaire unique généralisé.

Or, cela était impossible sans la solidarité des différentes industries. Et le problème se posa de fonder une caisse commune grâce à laquelle, tous les ouvriers, qu'ils subissent une crise de travail ou non, recevraient les mêmes moyens d'existence.

Comme premier pas, on établit la solidarité financière entre les industries qui constituèrent un Conseil général de l'économie dans lequel chacune eut deux représentants. Les industries ayant un excédent de bénéfices le communiquaient à la Commission administrative du Conseil, qui contrôlait assidûment les diverses comptabilités. Les ressources ainsi disponibles servaient à aider les industries déficitaires qui recevaient les sommes nécessaires à l'achat de matières premières et d'éléments divers de production.

Quand ces sommes étaient importantes, tous les délégués des différentes industries examinaient l'état financier et technique de l'industrie qu'il fallait aider. Et après les observations, les indications, les conseils et les critiques, quand il y avait lieu d'en formuler, les fonds étaient remis.

Cette solidarité allait bientôt être complétée par le passage du salaire unique au salaire familial. On effectua, à cet effet, un recensement minutieux dont les statistiques étaient aux mains de la municipalité.

Au moment de notre visite, on projetait également la réadaptation des industries. Un inventaire général avait été dressé, non seulement pour établir les besoins de la population, et ses ressources, mais aussi quelles industries méritaient d'être maintenues et quelles devaient être éliminées.

Comme il est arrivé partout, nos camarades d'Hospitalet s'occupèrent aussi, immédiatement, de l'instruction publique. Sur huit mille enfants en âge scolaire, quatre mille allaient régulièrement à l'école. Les autres ne pouvaient pas, par manque de place, de vêtements, de chaussures, de livres. La C. N. T. et la F. A. I. ne voulurent pas résoudre un aussi grave problème par leurs seuls moyens. Elles décidèrent d'unir leurs efforts à ceux des autres fractions antifascistes aupres desquelles elles esperaient trouver un écho favorable. Dans une réunion où furent convoqués les militants de l'U. G. T. et de la Gauche républicaine, nos camarades présentèrent leur Plan de réforme de l'enseignement, qui fut accepté. Et, noblement unies, les trois fractions s'occuperent de la rénovation scolaire.

Et en six mois, malgré les difficultés que l'on traversait, une oeuvre magnifique fut réalisée. Des immeubles furent construits, d'autres transformés, adaptés, et deux mille cinq cents nouveaux écoliers s'assirent dans de nouvelles classes, plus vastes, plus claires, plus aérées que celles qu'on avait connues jusqu'alors. Les maîtres et les maiÎtresses dépassés par la révolution que les événements étendaient jusqu'à la pédagogie ont ete remplacés par des instituteurs et des institutrices plus en concordance avec l'esprit des temps nouveaux, et qui se réunissent toutes les semaines pour étudier leurs expériences.

Les soins donnés à l'enfance ne s'arrêtaient pas là. La municipalité organisa une crèche immense où les parents pouvaient laisser leurs bambins pour vaquer à leurs affaires. Dans les fabriques où les femmes travaillaient, on établit des garderies d'enfants; la première fut inaugurée dans la Collectivité ouvrière T. Sala 1.

1 Voir à la fin de ce chapitre, le tract distribué à ce sujet.

On acheva aussi l'aménagement d'une maternité où les femmes du peuple, qui jusqu'alors avaient enfanté dans des conditions d'insalubrité lamentables reçurent les soins prescrits par leur état. Un gynécologue inspirait l'architecte qui réalisa les travaux nécessaires.  

Et le jeudi, dans toutes les salles, on offrait gratuitement aux enfants des séances de cinéma pour les instruire et,les amuser, selon des programmes intelligemment établis.

Précisons supplémentaires quant au domaine de la salubrité: immédiatement apres leur triomphe, les révolutionnaires décidèrent que les habitants d'Hospitalet devaient recevoir des cliniques, des dispensaires, de l'hôpital, des médecins, toute l'assistance à laquelle ils avaient droit. Ce fut rapidement un fait, étendu dans la mesure du possible, c'est-à-dire à un moindre degré que l'on désirait, car à Hospitalet les médecins continuaient à vivre de ce qu'ils percevaient de leurs clients. En juillet 1937, la socialisation de la médecine n'était pas encore intégralement réalisée. Pour y parvenir, on avait construit, en plus de la maternité, un hôpital cantonal de grandes dimensions, qui répondait aux conceptions modernes de la médecine.

De tout ce qui précède, il est évident qu'à l'activité syndicale s'ajoute l'activité communale, et que les deux allaient souvent de pair, car l'esprit communaliste s'accuse aussi fortement chez nos camarades d'Hospitalet (le maire, José Xena, était un anarchiste). Ils auraient pu s'emparer totalement du Conseil local. Par honnêteté, par solidarité antifasciste, et aussi pour ne pas déchaîner une réaction trop violente des autres secteurs antifascistes, ils ne voulurent pas. Ils invitèrent l'U. G. T. et la Gauche républicaine à constituer avec eux le Conseil municipal qui devait se composer de vingt-quatre membres. On leur répondit par un refus. Il n'y avait donc que huit conseillers: les nôtres, spécialisés dans les activités essentielles de la vie locale: salubrité et assistance sociale; instruction publique; économie; défense; travail et agriculture; services publics, ravitaillement et travaux publics.

Toutefois, un certain degré de collaboration put persister. Au moment de notre enquête, la situation est celle-ci: chacun des trois secteurs nomme des commissions spéciales qui soumettent au conseiller chargé de ces questions les initiatives leur paraissant utiles; celui-ci décide quand elles ne sont pas importantes; quand elles le sont, c'est le Conseil municipal qui se prononce. La C. N. T. convoque des assemblées populaires, soit dans le plus grand local du centre de la ville, soit dans les quartiers excentriques où l'on expose à la population, qui accourt librement, ce qui est fait et ce que l'on projette. L'auditeur peut librement poser des questions, et formuler des objections.

Il n'y a donc pas de politique de parti, de décisions prises en secret, d'escamotage par des comités siégeant à huis clos de la volonté populaire. On reste en contact avec le peuple, on continue d'en faire partie, et l'on applique au mieux la conduite libertaire que lon a toujours préconisée.

En synthèse, les libertaires d'Hospitalet agissent d'après une conception municipaliste qui répond à leurs préférences, et qui s'est imposée d'elle-même. Ils ont, comme cela s'est du reste fait dans d'autres endroits, délimité les fonctions de la commune et celles du syndicat. Pour eux, ces dernières s'inte. grent dans les premières, comme la partie dans le tout. Et de même que le syndicat isolé n'existe plus, chacun d'eux devant consulter les autres avant de se lancer dans une nouvelle entre'prise, les syndicats et leur fédération ne s'imposent pas non plus quand les questions débattues intéressent tous les habitants. Ainsi, l'enseignement, les transports et les travaux publics, la salubrité, l'assistance sociale> l'urbanisme relèvent de toute la population. C'est donc toute la population qui est invitée à décider.

Voici maintenant, pour terminer, le texte d'un tract que la Collectivité T. Sala distribuait dans la ville, et qui s'adressait aux mères de famille:

«Compagne: Nous t'offrons la Maison de l'Enfant pour que ton fils y reçoive, jusqu'à l'âge de cinq ans, l'assistance la plus complète au cours des journées de travail pendant lesquelles, presque toujours et jusqu'ici il était livré à la rue; et même quand tu pouvais le confier à quelqu'un, il ne recevait pas l'éducation ni les soins nécessaires pour être demain un homme physiquement sain et équilibré.

«Le but de la Maison de l'Enfant n'est du reste pas seulement de lui assurer les attentions nécessaires, et de te soulager dans tes fatigues. Il va beaucoup plus loin. Les conditions dans lesquelles tu as vécu t'ont empêchée de t'informer de ce qu'il fallait pour élever rationnellement ton enfant. C'est pourquoi nous avons organisé, aussi parfaitement que possible, toutes les commodités nécessaires, et pour assurer à ton fils un milieu agréable, nous avons fait en sorte que tous les éléments d'environnement et complémentaires lui soient assures, tant du point de vue de l'hygiène, de l'éducation, que de l'alimentation et de la surveillance médicale. Tout cela sera l'oeuvre de spécialistes compétents.

«La Maison de l'Enfant sera organisée en deux sections principales: celle des plus jeunes, depuis leur naissance jusqu'à l'âge de deux ans, et celle des enfants de deux à cinq ans. Il recevra, à chaque étape, tout ce qui lui conviendra du point de vue alimentaire, de distraction et de formation d'après ses inclinations propres. Et il conviendra que les mères tiennent compte des indications données par le personnel pour que l'oeuvre de la Maison de l'Enfant soit continuée au sein du foyer.

«Pour toutes ces raisons, tu dois comprendre que c'est pour l'enfant et pour son intérêt que nous t'offrons aujourd'hui la Maison de l'Enfant.»

On trouve bien quelques gaucheries de style dans ce texte; mais il n'y a pas de gaucherie du coeur

 

Rubi

 

Cette petite ville catalane comptait, en juillet 1936, 10.000 habitants. Cinquante % des travailleurs étaient employés dans les activités diveises, dont la plus importante était l'industrie textile. Seule organisation syndicale y ayant pris pied: la C. N. T. dont les syndicats comptaient, en temps normal, de 1.500 à 2.000 adhérents. Mais aux activités de lutte de classes et d'action directe propres à cette organisation de combat - que complétait une force libertaire organisée dans la F. A. I. – s'ajoutait un esprit réalisateur et une ceuvre un peu trop ignorée, comme il est arrivé presque toujours. Depuis 1893 on trouvait à Rubi, organisée par nos camarades, une coopérative comptant en moyenne quatre cents adhérents, dont le nombre doubla pendant la révolution. D'autre part les membres de la C. N. T. avaient, depuis 1920, achete un terrain afin d'y construire une école rationaliste, qui -devait continuer l'oeuvre de Francisco Ferrer. Dans ce but, chaque adhérent payait au minimum dix centimes par mois, et au moment où éclata la guerre civile, deux écoles, et non une, étaient ouvertes et fonctionnaient.

Ajoutons, pour que l'on saisisse plus complétement l'esprit pondéré de nos camarades, que depuis la fin du siècle dernier, une partie d'entre eux adhéraient dans un but prosélytiste au Centre républicain, ce qui indiquait un esprit de tolérance dont -on ne pouvait qu'augurer des résultats positifs.

Autour de Rubi, l'agriculture était assez importante. La grande propriété, moins développée en ses proportions que dans d'autres régions d'Espagne y dominait, exploitée généralement par les possédants qui, en outre, affermaient une partie de leur terre au quart, au tiers et à la moitié des recoltes. Cette âpreté trouvait sa confirmation dans un trait qui rappelait, mais aggravé, ce que nous avons rapporté dans notre chapitre sur Graus, en Aragon: l'eau potable que l'on consommait à Rubi surgissait dans les terres d'un des propriétaires, qui la faisait payer...

Comme à peu près partout, la Révolution fut le contrecoup de l'attaque franquiste, sans quoi nos forces, pour importantes quelles fussent, n'auraient pu parvenir à leurs fins: c'est ce que nous montre l'échec des tentatives insurrectionnelles d'avant 1936 que nous avons déjà citées.

Mais devant l'attaque, tous les ennemis du fascisme se trouvèrent côte à côte. Des catalanistes bourgeois aux anarchistes, l'unité s'était établie. Et comme il arriva presque partout, nos camarades, plus décidés, plus entraînes au combat, furent vite maîtres de la rue. Le danger passé, on envoya des hommes (ou des hommes partirent) au front d'Aragon qui s'établissait dans les combats, en même temps que des renforts étaient acheminés à Barcelone pour consolider la situation. Et pour la consolider davantage encore, on commenca les collectivisations.

Afin d'assurer la nourriture, on s'occupa d'abord de L'aliment de base. Il y avait à Rubi, de dix à douze boulangeries dont dépendait la fourniture du pain. La C. N. T. décida de s'en charger, et concentra la production tout entière dans ses locaux où la majorité des patrons et tous les ouvriers acceptèrent de travailler avec une conscience professionnelle qui ne connut pas de failles.

Puis vint le tour des moyens de transport. Sur l'initiative du Syndicat fut constituée une collectivité professionnelle correspondante. Comme pour la boulangerie, les petits patrons y adhérèrent, apportant une vingtaine de camions, des autobus dont nous ignorons le nombre, et une quinzaine de voitures automobiles. L'administration de cette Collectivité fut établie au siège du Syndicat 1 .

1 Observons que dans ce cas la Collectivité professionnelle n'était pas indépendante du Syndicat. Elle en était même une émanation.

A son tour, ou presque simultanement, le bâtiment s'intégra à la transformation sociale en cours. Rubi comptait une centaine de maçons, et environ 150 manoeuvres. Comme à Granollers, comme à Alicante, ces petits entrepreneurs adherèrent en appoitant leurs outils. On établit la liste exacte de ces apports. L'adhérent dont la formation professionnelle était la plus poussée fut nommé conseiller technique, chargé de surveiller et de guider l'ensemble des travaux sur les divers chantiers. Et la comptabilité fut confiée au spécialiste jugé le plus capable.

A Barcelone, l'industrie du bâtiment était paralysée par le départ des propriétaires, nullement inclines à faire construire des immeubles, ou à réparer ceux en location, le tout devant leur être enlevé si la Révolution triomphait. Mais à Rubi on travaillait beaucoup, car ce qu'on faisait était immédiatement nécessaire à l'ensemble de la population, et la municipalité avait les moyens d'en assurer le paiement. Par exemple, on construisit deux ponts pour enjamber un large ravin, ce qui était, jusqu'alors resté à l'état de rêve inaccessible, malgré le besoin qu'on en avait. On construisit aussi, toujours sous l'égide de la municipalité, un groupe scolaire assez vaste pour recevoir des centaines d'enfants, et dont, du reste, le gouvernement catalan - mais n'oublions pas que l'instruction publique était aux mains des libertaires - de la Généralité paya une partie des frais 2. On élargit sur une certaine longueur la route qui traversait la localité pour rendre plus aisé le passage des autobus, on répara de tres nombreuses maisons, on construisit un canal de 1.500 mètres pour amener l'eau aux terres que travaillaient les camarades de l'agriculture et, toujours pour aider les paysans, on remit à neuf des puits depuis longtemps abandonnés et combles, d'où l'on se mit à extraire de l'eau qu'on employa pour l'irrigation des cultures grâce à des moteurs électriques spécialement installés.  

2 Nous devons reconnaître, honnêtement, que le gouvernement de la Généralité aida parfois, par l'apport de moyens financiers, à des entreprises utiles; et tout en regrettant que trop souvent il ait distribué de l'argent sans discernement, rendant souvent possible, comme on le verra plus loin, une stagnation qui fut hautement préjudicielle.

Tout ce travail était dirigé par une Commission technique de cinq ou six membres nommée par l'assemblée de la Collectivité. De ce personnel seul étaient payés, en tant que professionnels, le directeur et les deux secrétaires.

Afin d'être aidée dans ces tâches multiples, la Collectivité du bâtiment demanda, et obtint, que les camarades des fabriques prissent part à tous ces travaux deux heures tous les dimanches.

Comme en tant d'autres endroits, les ébénistes et menuisiers constituèrent aussi leur Collectivité qui s'installa dans un vaste atelier disposant d'un outillage moderne et offrant des conditions d'hygiène jusqu'alors généralement inconnues. Jamais, me dit en riant, heureux, au souvenir de cette activité féconde celui qui en fut le principal animateur, on ne fabriqua tant de meubles à Rubi.

 La Collectivité agraire fut constituée avec les fermes expropriées des grands propriétaires. Cela représentait les trois quarts de la terre. Deux cent cinquante travailleurs de l'agriculture s'incorporèrent à cette vaste étendue de production. Les zones organisées furent au nombre de six: chacune répondant à une spécialité: culture maraîchère, sylviculture, vignobles, pare agricole, céréales, arbres fruitiers. La Commission directive était nommée par l'Assemblée générale, et à son tour elle nommait le délégué de chaque section.

Comme nous l'avons vu, et comme nous le voyons généralement quand il s'agit de Collectivités, l'esprit corporatif avait disparu. Tous les travailleurs étaient solidaires. Ils passaient d'une section à l'autre quand il en était besoin. Et ils admettaient des mesures qui allaient à l'encontre de leur spécialité de production. Parmi les initiatives qui furent prises, sous la pression des necessités immédiates, figura l'arrachage de vignes pour semer du blé. Et bien que le terrain ne fût pas des plus appropriés, Rubi serait presque parvenu à récolter assez de froment pour ses habitants, si les difficultés économiques qui s'étendaient dans toute la région, n'avaient répercuté sur la petite ville.

Il était bien resté des «individualistes» en dehors de ces transformations révolutionnaires: mais la majorité de la population maichait avec l'ordre nouveau. A tel point qu'un certain nombre de jeunes gens et de jeunes filles s'étaient séparés de leur famille pour y adhérer; on dut organiser, pour héberger ces célibataires, deux sections très pudiquement separées: «Je puis t'assurer que rien d'immoral ne s'est jamais produit» me disait l'animateur dont nous avons déjà parlé. Et je pouvais le croire sur parole.

La coopérative ne se cantonna pas dans ses seules premières activités. Nous avons dit que le nombre de ses adhérents doubla; la part prise à la distribution des marchandises s'étendit en conséquence, et neuf nouveaux dépôts ou points de vente furent créés; ce qui n'empêcha pas le petit commerce de continuer, sous un certain contrôle, comme on s'en doute. Les détaillants étaient soutenus par la section de ravitaillement du gouvernement catalan.

Rubi présente un exemple d'évolution tres caractéristique quant à la structure d'organisation genérale de la société. Lorsque commencèrent les événements, la majorité du conseil municipal était constituée par les catalanistes de gauche dont le chef, Luis Companys, fusillé plus tard par les franquistes, était président du gouvernement de Catalogne; le 6 août, soit trois semaines apres le début de la Révolution, !cette majorité démissionna devant la prédominance de nos forces et les bouleversements sociaux qui s'opéraient. sous leur impulsion. Sa situation était d'autant plus difficile que les fermiers - les «rebassaires»-appuyaient ce bouleversement, ainsi du reste que le P. O. U. M. (paiti ouvrier d'unification marxiste), de caractère trotskisant.

Dès lors, parce que nos camarades ne voulaient pas abuser de la victoire, parce que l'impératif de la guerre commandait de rester unis pour ne pas livrer l'Espagne à Franco, parce que les républicains de gauche appuyaient les réformes sociales 3, le nouveau conseil municipal fut composé de six membres de la C. N. T. et de six représentants des catalanistes d'avant-garde. Mais la nouvelle loi de février 1937 ayant ordonné que tous les partis politiques fussent représentés (ce qui était une des premières manoeuvres contre-révolutionnaires), le conseil se trouva définitivement composé de sept membres de la C. N. T., sept de la gauche catalane, deux membres de l'U. G. T. dont la section locale se constitua alors sous l'impulsion des communistes qui battaient le rappel des petits propriétaires réactionnaires afin de faire échec à la collectivisation, et deux membres du parti dénommé d'Action catalane. Tant de tendances diverses coexistant par force au sein du Conseil, cela devait donner lieu à des frictions et à des heurts, car naturellement ceux qui n'approuvaient pas l'implantation du socialisme libertaire considéraient que la C. N. T. allait beaucoup trop loin. D'autre part, nos camarades s'opposaient au fonctionnement traditionnel, essentiellement politique du Conseil, ou les jeux stériles des partis, souvent téléguidés par les comités résidant dans les grandes villes, finiraient par ressusciter l'ancien ordre des choses. Mais, forts de l'appui des syndicats, des collectivités diverses, et même de la coopérative, ils ne cédèrent pas.

3 On peut logiquement supposer que les rapports si souvent cordiaux qui depuis longtemps avaient été établis entre libertaires et républicains facilitèrent une compréhension mutuelle.

Alors, les partis décidèrent de ne plus collaborer aux tâches pratique de caractère municipal, ou relevant de la compétence du Conseil. Et nos camarades durent prendre en charge les activités les plus importantes: ravitaillement, travaux publics, industrie et agriculture. Ils réussirent assez pour que les organisateurs avec lesquels je m'entretenais de ces réalisations en eussent, quinze ans plus tard, les larmes aux yeux au souvenir de ce paradis perdu.

 

Castellon de la Plana

 

Castellon de la Plana, chef-lieu de la province qui porte son nom, comptait, quand éclata la révolution, 50.000 habitants. Notre mouvement n'y était pas important. L'explication de cette faiblesse est double: d'une part, l'industrie était peu développée, ce qui n'avait pas facilité l'essor d'une force syndicale puissante; d'autre part, si dans les campagnes environnantes on trouvait fréquemment des petits propriétaires d'esprit libertaire, la grande masse s'arrêtait au républicanisme.

Or, à Castellon et dans les environs, le républicanisme était populaire, et comme la république ne comptait pas plus de cinq ans au moment de l'attaque franquiste, ses partisans n'avaient pas eu le temps de se corrompre dans les marais du nouveau régime. Ce qui, d'autre part, explique pourquoi on évita, le 19 juillet, que les fascistes pussent triompher à l'échelle locale, et pourquoi, aussi, la population accepta sans trop de difficultés l'oeuvre de transformation locale entreprise par nos camarades. Il est sans doute utile d'ajouter que la majorité des républicains syndiqués l'étaient à la C. N. T. parce qu'ils craignaient pour l'avenir le danger d'étatisme et d'étatisation quils prévoyaient dans le socialisme traditionnel, et le parti s'en réclamant. Cela n'était du reste pas exceptionnel en Espagne  1 .

1 Voir page 365, Libertaires et républicains.

L'Union générale des travailleurs, concurrente de la Confédération nationale du travail, avait cependant plus d'adhérents que cette dernière, mais c'étaient des ouvriers dont les aspirations socialistes étaient demeurées intactes. Ces circonstances faisaient généralement que dans nos meetings, plus de la moitié des auditeurs, quoique non libertaires, applaudissaient nos orateurs.

Les circonstances facilitèrent la tâche de nos camarades sans balayer pour cela les obstacles. Les politiciens professionnels étaient désempares devant cette situation nouvelle, où pour eux tout était sens dessus dessous. D'autre part, de nombreux patrons, de nombreux propriétaires terriens étaient sinon fascistes, fascisants; d'autres ne l'étaient pas, mais adhéraient aux partis de droite, et désiraient tout de meme le triomphe des généraux insurgés.

Nos camarades savaient, d'avance, ce qu'ils voulaient dans le cas d'une situation comme celle qui justement se présenta. Ils commenceront donc par organiser des comités de contrôle dans les entreprises. Ces comités avaient déjà été acceptés, trois ans plus tôt, quand Largo Caballero était ministre du Travail, et que, pour calmer l'ardeur révolutionnaire des travailleurs et limiter leurs revendications, il avait légalisé la création de ces nouveaux organismes.

Il n'y avait donc pas maintenant de raison pour s'opposer légalement à leur généralisation, et les partis politiques furent obligés de les laisser naître et se développer.

Et de nouvelles positions furent rapidement conquises; les patrons ne se souciaient pas de maintenir la production a son niveau normal, encore moins de construire des chars d'assaut (pauvres chars d'assaut !) et de fabriquer des éléments de combat. Alors les travailleurs, guidés par la C. N. T., se substituèrent à eux et commencèrent à diriger le travail.

C'est ainsi que, le 20 octobre 1936, le Syndicat de la métallurgie décida de prendre possession des ateliers. A cet effet, il nomma un «Comité d'expropriation, d'administration technique et d'économie» qui adopta sur-le-champ les mesures suivantes:

1. Procéder à un inventaire détaillé de tous les ateliers et les garages locaux.

2. Etablir la statistique des salariés et des patrons de ces garages et ateliers.

Puis il organisa cinq sections de direction du travail mécanique, fonderie, . serrurei ie, ferblanterie, garages. Bientôt les ouvriers du bâtiment et les travailleurs sur bois s'organisèrent de la même façon. Et presque toute la production industrielle, sinon toute, fut socialisée sous l'égide des Syndicats libertaires.

Nous prendrons l'organisation des métallurgistes et des garages, qui s'y étaient joints, comme modèle pour toutes les industries. Une des raisons de ce choix est qu'il s'agissait de la branche de production la plus importante.

Nous trouvons d'abord le comité syndical, qui comprend en premier lieu une Commission technique chargec de la direction générale du travail dans tous les établissements; cette Commission est élue par l'assemblée générale, et remplace les patrons spécialises et les techniciens maintenant défaillants.

Elle est aussi chargée de distribuer le travail dans les ateliers et les garages, selon les possibilités de production, l'outillage, l'organisation, l'importance. On procéda du reste, comme on a procédé à peu près partout, à un regroupement qui éliminait les installations trop petites pour être rentables, et l'on constitua, ou agrandit, d'autres unités de production plus modernes, et mieux installées, pour le travail et les travailleurs.

Dans chaque atelier, ou garage, l'assemblée des ouvriers a nommé une commission de direction non bureaucratisée. Toutes les commissions sont en contact avec la Commission technique syndicale, et les responsables se réunissent tous les soirs avec elle pour orienter l'activité générale.

La Commission administrative syndicale s'occupe particulièrement du maniement de l'argent, qui continue d'exister, car, répétons le inlassablement, nous sommes dans une sociéte mixte, dont le cadre politique est à prédominance républicaine, et où la petite bourgeoisie, même sans être toujours réellement hostile, constitue un élément local important. C'est cette Commission qui paie les travailleurs selon les catégories établiee par les assemblées syndicales: techniciens, agents commerciaux, compagnons, demi-compagnons, apprentis. Elle est, de plus, divisée en cinq sections correspondant aux categoiies du travail. Les sections les plus importantes ont un employé nommé par le conseil syndical.

Les ateliers et les garages effectuent le travail (réparations, changement de pièces, etc.) demandé par les clients résidant à Castellon ou dans les environs, ou encore par la clientèle de passage. Ici se répète, quant au mode de paiement, ce que nous avons vu en d'autres occasions. Si, par exemple, le possesseur ou le chauffeur d'une automobile veut la faire réparer, il se présente à un garage ou à un atelier de mécanique, expose ce dont il a besoin, en demande le prix. Le délégué responsable lui indique la somme à payer, mais le client ne paie pas directement aux travailleuis qui font la réparation. Il va porter la note et l'argent au Syndicat; on lui donne alors le reçu correspondant. Muni de ce reçu, il retourne au garage, à l'atelier où le travail est exécute.

Ainsi, tous les comptes sont centralises, la caisse de tous les garages, de tous les ateliers de mécanique, de toutes les fonderies est commune. Mais chaque opération est enregistrée scrupuleusement, de façon à suivre en détail la vie économique de chaque unité de travail. Ce qui n'empêche pas l'appui donné par les sections bénéficiant d'excédents à une section en déficit, quand le cas se produit 2.

2 Par exemple, les ateliers garages situés sur la route allant de Barcelone à Valence travaillaient plus que les autres, disséminés dans la ville.

Tous les mois, le conseil technique et administratif présente à l'assemblée générale du Syndicat un rapport qui est examiné, discuté si nécessaire, enfin approuvé ou non à la majorité. Des modifications sont introduites quand cette majorité le croit utile. Toutes les activites sont donc connues et contrôlées par l'ensemble des travailleurs. Nous retrouvons là un exemple appliqué de la démocratie libertaire.

Telles sont les normes suivies dans tous les métiers, toutes les industries localement socialisés. Mais analysons plus à fond.

 

 

Comme on peut le supposer, les anciens patrons ne sont pas admis au Syndicat; toutefois ils sont acceptés comme producteurs dans les ateliers. Ceux qui, physiquement ou mentalement déficients, ne peuvent travailler, et sont sans moyens d'existence, reçoivent un salaire, comme les ouvriers.

Dans l'ordre professionnel, les travailleurs qui veulent passer à une categorie plus élevée le peuvent, mais doivent auparavant accepter de subir un examen théorique et pratique devant le conseil central du Syndicat, et les délégues d'atelier.

Enfin, lorsque cela est nécessaire, le Syndicat applique - sur acceptation de l'assemblée générale - des mesures disciplinaires. C'est le seul cas que nous ayons connu et enregistré, mais nous ne pouvons affirmer qu'il n'y en ait pas eu d'autres. Dans les premiers mois de la révolution, et croyant que la disparition du patron justifiait une négligence inhabituelle, certains travailleurs observerent un laisseraller excessif (cela se produisit aussi dans l'industrie du bâtiment, à Alicante). Aussi, dans l'assemblée du 30 décembre, une résolution fut prise - nous ne savons si à la majorité ou à l'unanimité, dont voici le texte, affiché dans les ateliers:

«Camarades:

«1. Les délégués d'atelier sont nommés en accord avec le règlement fait par vous et par le Comite.

«2. D'après l'article 5 de notre règlement, ces délégues sont responsables des questions techniques et administratives de l'atelier.

«3. D'accord avec l'assemblée générale du 30 décembre 1936, il est fait confiance aux délégués pour que, en cas de manquement à la discipline du travail et du non-accomplissement de leurs devoirs par les camarades qui composent le personnel de l'atelier, les mesures disciplinaires considérées, nécessaires soient prises afin d'assurer la bonne marche et un développement satisfaisant du travail dans les ateliers du Syndicat.

«4. Ces délégués ne pourront appliquer de sanctions importantes, comme le renvoi de camarades d'un atelier, sans accord du Comité et de la Commission directive du Syndicat.

«5. Tout camarade ayant à se plaindre du délégué tant pour des questions syndicales que pour celles concernant le travail devra, pour ne pas provoquer de désordres, s'abstenir de critiquer directement et personnellement; il s'adressera aux camarades du Conseil d'administration qui prendront les décisions nécessaires.

«6. Toutes les affaires courantes se rappoitant au travail ou de caractère syndical qui se poseront aux camarades des atelieis devront être traitées par l'intermédiaire des délégues respectifs.

Ce que nous communiquons aux délégués pour qu'il en soit tenu compte.

Castellon, le ler janvier 1937.

Une fois encore nous voyons que le sérieux avec lequel tout est conduit pour assurer le succès des réalisations prolétariennes implique une discipline librement consentie, considérée comme une garantie de succès. Et sans doute, en fin de compte, mieux vaut un exces d'exigence dans la responsabilite qu'une irresponsabilité qui mènerait à la déliquescence et à l'échec. Cette discipline et cette responsabilité étaient déjà proclamées par Proudhon avec la force qu'on lui connadit.

Mais l'activité de nos camarades ne s'est pas limitée à organiser les industries. Ils se sont intégrés au Conseil municipal, où ils sont du reste minorité. Ce ne sont pas de beaux parleurs, de brillants orateurs, mais ils sont intelligents, leur sens pratique ou humain n'est pas faussé par l'esprit politicien, et ils savent défendre avec conviction les initiatives constructives qui découlent de leurs idées et de la situation nouvelle. Parmi les réformes proposées figurent le salaire familial et la socialisation de la médecine par la municipalité. Les autres conseillers, républicains et socialistes - socialistes partisans de Largo Caballero - qui préconisaient de nombreuses réformes quand ils étaient dans l'opposition s'y refusent, invoquant la constitution républicaine, les lois en vigueur et des raisons économiques.

Or, pour le malheur des politiciens, les séances du Conseil sont publiques, et les ouviiers, ainsi que les femmes du peuple, suivent ces séances avec attention. Il en résulte que bien des adhérents à l'U. G. T., déçus du comportement antisocialiste de leurs dirigeants socialistes passent à la C. N. T. et dans toute la province les adhésions à cette dernière augmentent à une cadence inattendue. Evolution interne d'une société en période de transformation révolutionnaire.

Les effectifs de l'U. G. T. ne diminuent pas pour autant. Car les petits patrons-artisans rétifs à la socialisation, les concierges, généralement défenseurs de l'ordre établi, les employés de bureau à âme de bureaucrates, les commerçants ennemis des coopératives, les petits propriétaires terriens qui croient que nous voulons les laisser sans moyens d'existence et les dépouiller de leur récolte le moment venu, adhèrent en masse à l'organisation réformiste, c'est-à-dire à l'U. G. T. où les communistes étendent leur influence. Les gens de droite s'y infiltrent aussi afin d'en faire une forteresse, ou tout du moins un bastion défenseur de leurs privilèges, en attendant de récupèrer ceux qu'ils ont perdu.

Malgré tout, les notres obtiennent des réformes de fond. La plupart des médecins qui ne veulent pas être dirigés par la bureaucratie d'Etat, mais travailler sous l'inspiration de leur devoir professionnel et des problèmes sociaux qu'ils sont à même de constater, adhèrent à notre mouvement et aux solutions sociales qu'il propose.

Sur le terrain communal, nos camarades ont arraché aussi la socialisation de l'habitat. Le loyer des logements n'est plus versé au propriétaire - tant pis pour la Constitution et pour le droit romain ! -, mais à la municipalité qui a fait supprimer à peu près tous les impôts locaux; et les familles ouvrières peuvent jouir d'un habitat hygiénique et confortable, car les réparations de maçonnerie, les constructions nécessaires sont entreprises dès que le besoin en est reconnu. Ajoutons que, comme on verse au petit patron déposséde et hors d'état de travailler, un salaire normal, on laisse au petit propriétaire la maison qu'il a construite par ses efforts.

Cette socialisation de l'habitat, qui se répète très souvent, n'est pas la moindre des réformes que l'on trouve en de nombreux endroits.

L'exemple de Castellon de la Plana, qui n'est du reste pas le seul de son espèce, nous apparaît comme ayant un caractère significatif. Il prouve la possibilité de réformes extrêmement hardies dans une société non entièrement sortie de son cadre politique. Il montre que la lutte contre l'exploitation de l'homme par l'homme peut, si elle est conduite avec intelligence, capacité réalisatrice, tact, et élévation d'esprit, perdre beaucoup de sa rudesse et gagner en efficacité. En tout cas, il ouvre des horizons, comme il en a été ouvert dans des localités ou seules certaines industries ont été socialisées parce que, seules, elles disposaient de cadres révolutionnaires suffisants, tandis que les autres n'en disposaient pas. Les douze millions de membres de coopératives de consommation d'Angleterre n'empêchent pas Fexistence du commerce privé. Pour les paitisans de la création d'une société nouvelle, bien des étapes pourraient etre franchies sans verser des torrents de sang.

 

La socialisation a Alicante

 

Comme Elda, comme Jativa, comme Castellon, Alicante, capitale de la province ou se trouvent ces localités, comptait depuis longtemps un mouvement social de caractère libertaire qui se maintint contre vents et marées au long de l'histoire sociale de cette région. Et dans les événements qui ouvrirent le chemin de la révolution sociale, la solidarité traditionnelle existant entre ces villes, leurs syndicats et leurs groupements libertaires fédérés permit de réaliser ce que chaque ville isolée n'aurait sans doute pas même pu entreprendre.

Car les forces armées de la C. N. T., les groupements de combat antifranquistes mis sur pied par nos camarades ou avec leur participation empêchèrent, ici aussi, les éléments réactionnaires de prendre d'assaut les institutions républicaines, même d'en esquisser la tentative.

La paix ne fut donc pas sérieusement perturbée, et la garde civile se laissa désarmer. Mais la encore, des que les travailleurs libertaires, qui luttaient depuis le dernier quart du XIXe siècle pour la construction d'une société nouvelle, furent, grâce aux circonstances politiques, devenus maîtres de la situation, on ne pouvait attendre d'eux qu'ils laissent subsister un monde social qui engendrait le fascisme, et où régnaient l'injùstice et un désordre économique qu'ils ne connaissaient que trop.

Pour réaliser leur idéal, il y avait toujouis, à la base, nos Syndicats: d'abord, celui de la métallurgie qui était le plus important, et groupait tous les ouvriers sur métaux. Puis, le Syndicat du bâtiment, de structure, aussi industrielle, et comprenant les maçons, les carriers, les plâtriers, les menuisiers, les charpentiers, les peintres, les ouvreurs, etc. Ensuite le Syndicat de l'habillement, avec les tailleurs, les couturières, les spécialistes de la lingerie; par ordre d'importance suivaient le Syndicat de l'alimentation, puis celui de l'industrie chimique, et enfin le Syndicat des transports terrestres et maritimes.

Observons cependant que, parmi les industries, l'Union générale des travailleurs comptait, elle aussi, un Syndicat dans le bâtiment, un dans l'industrie de la pêche (branche de l'alimentation), un autre dans l'industrie chimique. Ce qui ne constitua pas un obstacle insurmontable pour aller de l'avant. Alicante est un des exemples où les travailleurs socialistes de la base, bien qu'adhérant à l'U. G. T., refusèrent d'obéir aux directives antirévolutionnaires de leurs leaders.

Les données que nous reproduisons n'ont pas eté recueillies directement sur place. Elles reposent sur les témoignages de militants qui prirent part à cette oeuvre constructive et nous l'expliquerent dans entrevues que nous eûmes spécialement avec eux, après le triomphe de Franco. Voici ce qui nous a semble le plus important et dans une certaine mesure, original, parce que répondant à une situation sociale, locale, particulière, et, il faut bien le dire, a la mentalité des hommes.

Socialisation du bâtiment. – L'industrie du bâtiment était aux mains de petits entrepreneurs. Dans une assemblée spécialement convoquée, le Syndicat des travailleurs cénétistes du bâtiment décida de s'emparer des éléments techniques de travail et d'en socialiser l'emploi. Ce qui fut fait. On dressa, dans chaque cas, un inventaire de l'outillage et des matières premières au pouvoir de chaque patron dépossédé, à des fins d'indemnité. Fait assez inhabituel et contraire aux positions de principe du mouvement libertaire, mais n'oublions pas que les entrepreneurs étaient des petits patrons, et que dans ce cas comme dans d'autres, les petits patrons travaillaient souvent plus que leurs ouvriers. Nous allons en voir bientôt les conséquences.

Car, d'abord, dans le systeme qui faisait du Syndicat le coordinateur et l'orienteur du travail général, il fallut choisir, par chantier, un responsable devant ses camarades et devant la commission de coordination syndicale. Ce responsable devait fatalement être capable de diriger un chantier, donc être techniquement préparé. Or, dans l'ensemble, les patrons de l'industrie du bâtiment étaient de meilleurs techniciens que les ouvriers salariés. Et, comme on ne voulait pas courir le risque d'échecs aux conséquences immédiates et graves, c'est parmi eux qu'on choisit les chefs de chantier.

D'autre part, il apparut, dans la pratique, que ces ex-petits entrepreneurs qui, acceptaient sans trop regimber la situation nouvelle, avaient un sens du devoir supérieur à celui des ouvriers moyens, habitués à être commandés et a ne pas prendre de responsabilités. Et qu'ils veillaient mieux que leurs nouveaux camarades à la qualité du travail. Dans ce cas comme dans d'autres, on ne pouvait pas pratiquer d'un coup l'égalité absolue des salaires, car on ne devait pas, au milieu des difficultés d'une révolution, provoquer des conflits qui auraient nui à la production. Pour toutes ces raisons, le Syndicat se vit obligé d'établir une différence de rétribution. Les travailleurs sans responsabilités techniques touchèrent dix pesetas par jour, et les travailleurs ayant des responsabilités techniques en touchèrent quatorze.

Cela fut peut-être facilité par l'importance relative du nombre de membres de l'U. G. T., qui avaient adhéré à la syndicalisation et heurtaient nos camarades. Mais encore une fois il fallait assurer la bonne marche et la qualité du travail; il ne fallait pas que les maisons construites ou réparées se lézardent ou se détériorent au bout de quelques semaines ou de quelques mois. Ce qui aurait justifié le retour au capitalisme.

Observons d'ailleurs que les salaires étaient fixés par L'assemblée générale du Syndicat, par conséquent au moins avec l'assentiment de la ma orité des travailleurs qui s'inclinaient devant ces réalités.

Le Syndicat du bâtiment exerce donc le contrôle sur l'ensemble des chantiers, des anciennes entreprises transformées en sections ou en cellules, dans un régime dont le cadre est demeuré républicain. Situation qui rappelle celle de Castellon de la Plana. Une partie importante de la vie sociale répond encore aux principes juridiques établis; il y a toujours des classes sociales, des couches parasitaires ou privilégiées - quoique l'importance de ces dernières ait diminué dans de larges proportions et soit normalement condamnée à se réduire bien davantage -, un capital financier, au pouvoir tres diminué, des intermédiaires de la distribution qui exploitent encore la population, mais que les coopératives naissantes tendent à réduire à la portion congrue; mais il y a aussi, parallèlement, des métiers, des industries, des activités de production ou de services, souvent les plus importantes, qui sont aux mains des travailleurs, hier salariés et soumis à la classe patronale, aujourd'hui malitres de leur destin.

Le Syndicat du bâtiment comptait 500 maçons, 85 peintres auxquels il fallait ajouter les couvreurs, les serruriers, les architectes, etc. Les unités de travail étant dûment organisées, on se mit a réparer les immeubles, à ravaler les maisons, pour le compte des propriétaires. On entra en contact avec la municipalité pour des travaux publics et des constructions dépendant de sa bonne volonté et de ses ressources financières. Ainsi cette dernière fit-elle réparer les écoles, et les hôpitaux. De nouveaux bâtiments surgirent, et comme on s'attendait à de mortels bombardements de l'aviation fasciste, on construisit - ce qui se fit un peu partout des refuges pour la population.

Le mécanisme d'administration montre, une fois de plus, la tendance que nous voyons un peu partout, de faire accéder chacun aux responsabilités générales 1, ou participer à la direction de la vie collective.

1 Pour aider à cette entreprise générale, et à cette collaboration entre Syndicats et municipalité, cette dernière exonéra le Syndicat du Bâtiment d'impôts pendant trois mois.

Mais, si chaque chantier compte un responsable technique chargé de la direction du travail, on y trouve aussi un délégué syndical choisi par les travailleurs. Responsable et délégué établissent de concert les devis demandés. La collaboration est étroite et permanente. On s'efforce de susciter l'enthousiasme, lintérêt moral, d'en appeler à la conscience de chacun. Et quand, un travail fini, il apparaît que le bilan est béneficiaire par rapport aux calculs établis, le Syndicat félicite les travailleurs du chantier. Mais il blâme dans le  cas contràire.

On peut demander avec raison pourquoi les bénéfices ne sont pas répartis entre les travailleurs à l'effort desquels ils sont dus. Simplement parce qu'on les réserve à des ceuvres de solidarité. Ainsi, la disparition de grands propriétaires, ou la suspension des travaux du bâtiment, ont provoqué, et provoquent par moments un chômage partiel, mais il n'y eut pas, il n'y a pas pour cela de véritables chômeurs. Grâce aux fonds possédés par le Syndicat, on peut, à tour de rôle, faire reposer vingt maçons, dix peintres, etc. Le chômage se transforme en vacances ou en loisirs.

L'industrie de la conserverie. - Cette industrie concerne surtout les fruits et les légumes, produits en grandes quantités dans cette région levantine. Mais suivant la conception, ou le principe de l'organisation solidaire des activités connexes, elle englobe aussi les travailleurs chargés de la fabrication, de la préparation, des emballages: non seulement des emballages en bois, des caisses pour les expéditions, mais aussi les boites en fer-blanc. La structure et le fonctionnement de l'organisation générale présentent le tableau suivant:

Les entreprises emploient généralement une main d'oeuvre nombreuse, et les assemblées, où les femmes dominent, nomment sur les lieux du travail un délégué (ou une déléguée) responsable pour vingt travailleurs. A leur tour, les délégués responsables réunis nomment un ou une responsable pour l'entreprise entière. Il y a également un délégué du syndicat par section, pour le contrôle de la condition des travailleurs dans les ateliers, les bureaux, les magasins, les entrepôts, etc. Naturellement, ces délégués travaillent, eux aussi.

Les fruits et les légumes sont fournis par les Collectivités agraires. La coordination fraternelle entre les producteurs de la campagne et ceux de la ville, et entre leurs organismes respectifs, s'étend donc et se complète. Si l'on ajoute la collaboration existante entre les Syndicats et les municipalités, on voit se constituer un organisme,  social dont les différentes parties s'harmonisent et se complètent au lieu de s'opposer.

Les conserves sont emmagasinées et mises à la disposition du Syndicat de l'alimentation; celui-ci les vend aux conseils municipaux de la région, aux commissions provinciales de ravitaillement; l'intendance militaire elle-même – n'oublions pas que nous sommes en guerre - figure parmi les acheteurs.

La boulangerie. - Ensemble, le Syndicat de la C. N. T. et celui de l'U. G. T. socialisèrent les boulangeries. Les «hornos» (fournils) devinrent la boulangerie n° 1, la boulangerie n° 2, n° 3, etc. comme nous l'avons déjà vu dans d'autres cas. La farine est équitablement répartie entre eux, les ressources financières sont communes. Comme dans les cas précédents, le personnel de chaque entreprise élit un délégué responsable, que le Syndicat contrôle, et qui est aussi responsable devant lui.

Le vêtement. - La plupart des patrons des fabriques et ateliers se sont retirés des entreprises où ils ne commandaient plus, et dont ils n'étaient plus propriétaires. Le délégué d'entreprise, choisi par les assemblées d'entreprise, et responsable devant le Syndicat qui coordonne maintenant le tout, constitue aussi l'axe du mécanisme d'organisation.

Comme nous l'avons vu dans tant d'autres endroits, le client désirant par exemple, se faire confectionner un complet, ou un pardessus, s'adresse à l'atelier de son choix, ou on lui communique le bareme des prix, selon la qualité par lui demandée. En échange de l'argent versé, il reçoit un reçu provenant du carnet a souches en triple exemplaire que nous avons déjà décrit dans d'autres chapitres 2.

2 Voir les chapitres Fraga et Castellon de la Plana.

Les coupeurs et autres ouvriers remplacent les patrons dans la direction du travail. Les salaires sont de dix pesetas par jour tant pour les ouvriers que pour les ouvrières. Certains, parmi les meilleurs spécialistes, sont payés 12 pesetas. Reste d'inégalité qui peut être en partie explicable, comme dans le cas du bâtiment. Mais il y a loin de ce surplus à ce que touchait un patron. Malgré tout, ce sont des problèmes qu'un mouvement transformateur devrait étudier.

Industrie métallurgique. - Dans les classements peut-être un peu sommaires et inspirés par un but d'unification, la métallurgie englobe, à Alicante, de la bijouterie à la grosse chaudronnerie en fer. Mais naturellement la bijouterie ne joue aucun rôle dans l'organisation d'ensemble de la production socialisée.

D'autre part, l'U. G. T. et la C. N. T. sont d'accord, et travaillent ensemble.

Les deux centrales syndicales constituent l'I. M. S. A. (Industries Métallurgiques Socialisées d'Alicante). Ce complexe a été organisé en sections qui comprennent un Conseil général intégré par une Commission de travail, une Commission technique, une Commission d'achat et de vente, une Commission administrative, etc. Comme dans les cas précédents, les travailleurs nomment sur place les responsables qui agissent d'accord avec le Conseil syndical.

Les deux organisations syndicales sont en contact avec les délégués au Conseil de l'I. M. S. A. Comme les boulangeries, les ateliers sont désignés par numéro. Ce sont les parties d'un grand tout solidaire.

 

Les réalisations éparses

 

La révolution espagnole n'a pas toujours pu socialiser la totalité des ateliers, des fabriques, des usines et des industries établis dans une localité ou dans une région. La résistance des forces politiques alliées à ce qui restait de la bourgeoisie même, a empêché d'aller au-delà de certaines limites.

D'autre part, souvent des entreprises étaient isolées dans telle ou telle partie d'une province. Ou bien encore, les travailleurs n'avaient pas été gagnés assez vite par l'organisation des fédérations d'industrie à léchelle nationale. Et selon les circonstances, certains établissements restés en marge ont été collectivisés, ou se sont organises en agissant sur leur seille initiative ou en imitant simplement ce qui se faisait ailleurs.

Il en a été de meme pour les Collectivites agraires, particulièrement en Catalogne: Les réalisations de ce genre ont été peu nombreuses dans les campagnes catalanes, le paysan de cette région étant plus incliné vers la petite propriété individuelle que vers la communauté sociale. Les collectivisations agraires catalanes ont donc donné lieu à des groupements qu'on ne peut comparer aux Fédérations d'Aragon, du Levant et du Centre.

Cependant, des réalisations surgiront tres souvent et mériteraient un recensement et une étude approfondie. Et s'il est impossible de les insérer historiquement dans des organismes d'ensemble - locaux, régionaux, nationaux - elles n'en offrent pas moins un intérêt certain. Souvent chacune mériterait une monographie séparée. Une seule d'entre elles, réalisée de nos jours, susciterait l'intéret des réformateurs à l'échelle internationale. Voici quelques exemples, de caractère industriel, et un de caractère agraire qui ne font qu'illustrer davantage la multiplicité des initiatives créatrices sur laquelle on n'insistera jamais assez.

 

Les cordonniers de Lerida

 

Quelques jours après le soulèvement fasciste, et sous l'impillsion des espérances que le déclenchement de la guerre civile faisait naître, quelques cordonniers de Lérida, (capitale de la province qui porte ce nom) appartenant au mouvement libertaire se réunirent pour, en même temps qu'ils envisageaient la façon de participer à la lutte, organiser un nouveau mode de vie. Les autorités républicaines avaient pratiquement disparu, rien n'empêchait donc de tenter l'expérience.

A cette première réunion assistaient aussi un petit patron, et son fils. Bientôt d'autres ouvriers se joignirent au groupe initial, d'autres petits patrons firent de même. Et lon s'organisa sur une base collectiviste.

Cette transformation entraînait une révolution dans les méthodes de travail. Il n'était plus question de coudre le cuir avec Palène et l'aiguille. On disposait de quelques machines, qu'il fallut bientôt employer a plein, car les commandes affluaient, dont une partie, qui grossit vite, pour les autorités: il fallait des brodequins pour les miliciens. On concentra davantage d'ouvriers, et le nombre des collectivistes finit par s'élever à une cinquantaine. On se procura de nouvelles machines, on en eut bientôt vingt-trois.

Le Comité responsable de la direction se composait de six travailleurs: trois de la C. N. T. et trois de la F. A. I.; à chaque renouvellement, il était élu par l'assemblée des collectivistes.

Le rendement augmenta; la ville fut bombardée par l'aviation fasciste au début de décembre 1937, mais, à cette époque, tout en satisfaisant aux besoins de la population locale, la Communauté des cordonniers de Lérida fabriquait 1.500 paires de chaussures par jour.

Le gouvernement catalan augmenta les commandes pour les miliciens. Faute d'argent (selon le ministre communiste Comorera qui était alors à la tête du ministère de l'industrie), le paiement des articles livrés cessa bientôt. Et lorsque se produisit l'avance fasciste, c'étaient des millions que ledit ministre devait à la Communauté des cordonniers de Lérida. Heureusement ses membres trouvaient-ils sur place, grâce aux réparations et à la fabrication du sur mesure, grâce aussi au jardinage qui leur permettait de se procurer quelques éléments de nourriture, de quoi faire vivre leur famille.

 

Les minoteries de Valence

 

La secousse provoquée dans le domaine politique par l'attaque franquiste eut, naturellement, ses répercussions dans le domaine économique. Une désorganisation plus ou moins intense se produisit dans des secteurs vitaux pour la population. Les autorités étaient incapables de la moindre initiative utile, et il fallut que les travailleurs, particulièrement ceux qui, grâce à l'organisation syndicale, avaient le sens des cohésions nécessaires, se chargent de remplacer le capitalisme privé si souvent défaillant.

On le vit, par exemple, dans le cas du ravitaillement en farine de Valence, où le gouvernement central s'était installé avec toute sa bureaucratie. Des délégues de l'U. G. T. et de la C. N. T., qui travaillaient dans l'alimentation, durent se réunir pour faire face à la grave pénurie qui apparut tres vite, et qui constituait un facteur de désordre dont les fascistes auraient pu bénéficier. Et le 1er octobre 1936, la constitution d'un organisme appelé «Minoteries socialisées» commençait à fonctionner sous la direction d'un conseil ouvrier composé de membres des deux grandes organisations syndicales, la C. N. T. et l'U. G. T.

Normalement la capitale du Levant recevait et consommait mille sacs de farine par jour. Mais la situation s'était compliquée du fait de la guerre civile, et il fallait davantage de pain pour compenser la pénurie d'autres aliments. De la frontière française à Gibraltar, l'Espagne orientale n'était pas productrice de blé; comme nous l'avons déjà dit, les grandes régions céréalières se trouvaient en Castille et en Andalousie, tombées tres tôt aux mains de Franco. En outre, nous avons vu que la région levantine supportait la charge d'un nombre de réfugies qui ne fit qu'augmenter au long des mois.

Dans ces circonstances où il n'y avait pas de temps à perdre, car le pain devant être assuré, les moulins assez modernes, passetent rapidement aux mains des travailleurs. Mais la fourniture du blé nécessaire fut bientôt sous la coupe du ministre de l'Agriculture, le communiste Uribe, qui était certainement obligé de mesurer et de prévoir, mais qui, d'autre part, sè gardait bien de chercher à établir un accord avec le groupement des «Minoteries socialisées». Tuer la révolution qu'on ne peut dominer: telle fut toujours, depuis Marx, l'attitude des communistes.

Ce groupement fonctionna quand même. L'organisation de l'ensemble fut divisée en deux sections. L'une, la section d'achat, dont les agents parcouraient les campagnes, et même faisaient des incursions dans certaines régions de l'Espagne occupée par le franquisme, afin de procurer du ble. L'autre, la section des ventes, qui se chargeait de distribuer la farine chez les boulangers de Valence. Une troisième section, complémentaire, de caractère administratif, était chargée des statistiques, de la correspondance, des archives, de la comptabilité.

Dès le premier moment, le Comite, organisateur, intégré toujours par des camarades de l'U. G. T. et de la C. N. T., présenta au ministere de l'Agriculture les conclusions que leur imposait la gravité de la situation:

1. - Réquisition de tout le blé existant sur le territoire de la nation.

2. - Distribution dans les provinces, selon leurs nécessités respectives.

3. - Etablissement d'un prix ne devant pas dépasser 45 pesetas le quintal.

4. - Importation immédiate par l'Etat de ble de Russie et d'Argentine.

Leurs demandes furent ignorées. La précieuse ceréale manqua bientôt, ce à quoi devait s'attendre tout individu quelque peu informé de l'économie espagnole. Mais tant qu'il y eut du blé, et de la farine, ceux-ci furent distribués, grâce aux «Minoteries socialisées» de la région valencienne.

 

La coopérative chocolatière de Torrente

 

Dans la province de Valence, Torrente est une localité renommée pour sa production de confiserie, particulièrement de chocolat. Cette industrie était aux mains de petits patrons, 45 en tout, travaillant à l'échelle artisanale, et qui, selon l'importance de leurs moyens, employaient un ou quelques salariés.

Mais poussés par le désir de moderniser la production, et de préserver la santé des travailleurs, les membres de la C. N. T. convoquèrent une assemblée qui eut lieu le 1er septembre 1936: moins d'un mois et demi après le début de la guerre civile. Les patrons y furent invités, tout comme les salariés. Et, comme dans tant d'autres occasions, employeurs et ouvriers se mirent d'accord pour aller de l'avant.

C'est ainsi qu'on décida à l'unanimité d'organiser la «Coopérative des travailleurs chocolatiers de Torrente». Immédiatement, les travaux commencèrent pour la construction d'un vaste bâtiment collectif que l'on situa près de la voie ferrée, afin de pouvoir décharger plus facilement les matières premières, et expédier les produits fabriques.

L'ensemble se composa de cinq parties, ayant chacune 50 mètres de long sur trente de large. La première, destinée à la fabrication, compta bientôt quarante-cinq machines travaillant simultanément; les unes avaient été fournies par certains patrons, les autres, spécialement achetées.

Le deuxième corps de bâtiment était réserve aux opérations secondaires qui consistaient à donner aux articles leur forme caractéristique.

Le troisième servait pour l'emmagasinage des matières premières; le quatrième, aux opérations de torréfaction ou de préparation; enfin, le cinquième, contenait les machines et les installations de réfrigération.

Jamais, jusqu'alors, on n'avait connu en Espagne une fabrique de chocolat et de confiserie aussi bien organisée, ni aussi vaste. Non seulement il fut possible de fournir pendant assez longtemps une marchandise dont les circonstances provoquaient la raréfaction croissante (le cacao n'arrivait plus de l'extérieur,) mais aussi on améliora la qualite du produit par l'emploi de procédés et de dosages plus raffinés.

Les centaines de travailleurs, hommes et femmes, qui étaient employés dans l'entreprise, firent, comme ce fut généralement le cas, preuve d'une adhésion presque émouvante à l'effort entrepris. Comme il était question, des le début, d'élever les salaires par rapport à ceux que les patrons payaient auparavant, ils refusèrent, décidant d'attendre que la coopérative ait réalisé ses premiers bénéfices. C'est aussi en grande partie sous leur impulsion, et sur leur initiative que fut entreprise la fabrication locale de «turron» et de différents articles du même genre.

La coopérative - qui fut au fond plus une communauté qu'une coopérative -, était dirigée par un Conseil ouvrier composé de six travailleurs de l'établissement, tous co-responsables de la bonne marche du travail et de la qualité des produits.

 

Les groupes agraires de Tarrasa

 

Centre manufacturier par excellence, Tarrasa, est situé à 30 km de Barcelone. Depuis longtemps, la principale industrie qu'on y trouve est la fabrication de tissus de laine avec une matière première fournie surtout par les moutons de la Mancha, riche en moulins à vent qui maltraitèrent Don Quichotte, en maigres herbages et en chardons. Le mouvement prolétarien est ici tres vieux, et la tradition syndicale tient au coeur destrente mille habitants. Mais au moment de la Révolution, les organisations ouvrières de Tarrasa étaient, comme celles de nombreuses autres villes, loin d'avoir acquis la préparation technique nécessaire pour prendre en main la réorganisation de la société. Cela, et l'opposition des partis politiques avec lesquels nous coexistons, explique en partie pourquoi, longtemps apres que les ouvriers eurent pris les fabriques et les ateliers, les Syndicats n'en avaient pas encore assumé la direction.

A part le bâtiment qu'on avait vraiment syndicalisé, les autres industries en étaient encore, au bout de six mois, au stade du Comité de contrôle, ou de gestion; c'est-à-dire à l'absorption du patron quand il était sur place - mais les fabriques importantes appartenaient souvent à des actionnaires anonymes - et à la direction, à l'administration de l'entreprise par les ouvriers y travaillant 1.

1 En termes actuels (1971), nous pourrions parler d'autogestion.

J'ai visité la plus importante de ces fabriques. où j'avais travaillé comme manceuvre quelque vingt ans auparavant. Elle était dirigée par un «Comité technique» divisé en sept parties: section technique, syndicale, du travail, administrative, commerciale, propagande, assurances.

Mille trois cents hommes et femmes y travaillaient. Rien n'indiquait le moindre ralentissement dans les efforts. Autour des machines, devant les tables installées sur tréteaux où les jeunes filles triaient la laine, dans leurs va-et-vient divers, travailleurs et travailleuses montraient la même diligence que sous le régime antérieur. Pas de patrons, pas de contremaîtres, comme auparavant; mais on lisait sur les visages comme une joie que procurait la satisfaction de produire pour et par soi-même.

Si l'opposition politicienne, très audacieuse, et qui s'appuie sur les forces correspondantes de Barcelone, n'oppose. pas d'obstacles qu'on ne pourrait éliminer que par la force, l'avance vers la socialisation intégrale sera sans doute assez rapide. Occupons-nous, entre-temps, d'une activité constructive et révolutionnaire qui va beaucoup plus loin que ce qu'on fait dans les usines. Il s'agit des communautés agraires des alentours de Tarrasa.

Le Syndicat des travailleurs de la terre, qui les oriente et les contrôle, fut fondé après le 19 juillet. Jusqu'alors, il n'y avait eu, en fait d'organisation syndicale agraire, qu'une section paysanne faisant partie du Syndicat général local. Mais avec le triomphe sur les fascistes, et par conséquent sur les droites conservatrices et réactionnaires. la plupart des possesseurs de terre disparurent. Les uns étaient des messieurs de Barcelone, qui avaient fait construire des résidences secondaires entourées de pelouses où ils allaient se prélasser deux ou trois mois par an. Les autres, des semi-agriculteurs peu entreprenants, qui abandonnaient leurs domaines aux ronces et aux lapins de garenne.

Nos camarades le savaient et se mirent immédiatement à l'oeuvre. Le nouveau Syndicat des paysans s'empara immédiatement de cette nouvelle source de richesse. Ses adhérents furent renforcés par des ouvriers industriels assez perspicaces pour comprendre l'importance de ce q'uon pouvait faire.

Et au bout de six mois, seize fermes collectives avaient été organisées. Le terrain était trop accidenté pour permettre, ou faciliter, l'établissement de grandes zones de culture spécialisée; mais une tendance générale dans tout l'effort constructif de l'Espagne libertaire s'accuse encore ici. Les terres des fermes et des propriétés voisines sont rassemblées en unités agraires. C'est ainsi que six propriétés ne sont qu'une communauté avec un seul Comité de direction afin de mieux coordonner les activités générales.

Pour diriger le travail d'ensemble, le Syndicat est divisé en deux sections principales: l'une agraire, l'autre forestière. La section agraire s'occupe de tout ce qui concerne l'agriculture et l'élevage. La section forestière, de la sylviculture. Le Syndicat enregistre soigneusement, d'après les rapports que lui transmettent les Comités de direction des fermes, la surface totale de chacune d'elles, l'importance des diverses cultures, les différents modes d'exploitation. Il connaît donc le total et les variétés de légumes, de céréales, de fruits qui sont en train de pousser, et il peut calculer les futures recoltes.

Ses attributions se limitent à ce rôle et à la création de communautés nouvelles quand il peut obtenir d'autres terres. Les communautés s'organisent sur place; leur comité de direction est composé d'un délégué pour l'agriculture, un pour le bétail, un pour les instruments de travail, un pour les moyens de transport. Les ouvriers qui les ont nommés, comme les délégués mêmes, travaillent du lever au coucher du soleil - ce n'est pas le moment de réduire les efforts! -, d'après les décisions prises dans leurs réunions.

L'exploitation forestière est l'oeuvie d'une centaine de travailleurs, réunis sur une même zone, et aussi dirigés par un comité technique composé de représentants de différentes sections. Là encore, les membres de ce Comité travaillent comme leurs camarades.

Les communautés agraires de Tarrasa ne se contentent pas de faire rendre le maximum à la terre qu'elles ont prise en charge. Elles ont de plus vastes ambitions. Partout elles élargissent la surface cultivée. Elles détiuisent les ronces, arrachent les broussailles et les mauvaises herbes, enfoncent la bêche, lancent le tracteur. Et au flanc des collines, et sur les hauteurs hier encore envahies par les plantes parasitaires, elles sement.

Un des exemples les plus typiques, est celui de la communauté «Sol y Vida» (Soleil et Vie). Le propriétaire employait habituellement six travailleurs. Il y en a maintenant quarante, qui s'affairent sans répit, la culture intensive ayant remplacé la culture extensive.

Mais non seulement la plupart des terres cultivables n'étaient pas cultivées, ou étaient laissées à l'état de maigres pâturages: il y avait aussi des surfaces forestières broussailleuses aux rendements nettement insuffisants. Le tracteur et l'effort des hommes ont fait des miracles. En peu de temps, cent quarante hectares ont été transformés en cultures diverses. Blé, pommes de terre, arbres fruitiers, légumes, ont été semés ou plantés sur les coteaux, dans les ravins. Et sous peu, cent cinquante travailleurs qui se sont déjà attelés à la besogne, transformeront le large lit d'une ancienne rivière - torrent en un terrain parfaitement abrité pour la culture du pommier, du poirier, du pêcher.

Toutefois, il faut vivre en attendant la récolte. C'est l'affaire de la solidarité. La section forestière, qui vend ses produits sans peine (la houille ne vient plus des Asturies, et le bois à brûler et le charbon de bois sont les bienvenus) aide les communautés agraires. Les camarades de la ville apportent aussi leur effort. Il en est qui vont le dimanche, travailler la terre et réparer gratuitement les maisons habitées par les cultivateurs. Parmi ces recrues, on en trouve qui ont renoncé volontairement au salaire de 90 pesetas par semaine dans les fabriques pour en gagner 60 afin d'aider à cette création de vie nouvelle.

Après ma visite à presque toutes les communautés, je suis allé voir un de plus beaux efforts accomplis dans cette région. La plupart des maçons étant chômeurs, leur Syndicat s'est mis d'accord avec celui des paysans, et a envoyé 150 hommes déboiser et nettoyer, dans la montagne, des terres qui ne servaient qu'à abriter des animaux mangeurs de récoltes. J'ai vu ces camarades abattre des arbres, arracher des racines, couper et scier des branches, entasser les rondins et les bûches, préparer les fours et la matière première pour faire du charbon de bois. Chaque équipe accomplissait une partie précise du travail, et après le passage des défricheurs la terre était propre, prête à recevoir les semences.

D'après les orientations emanant du Syndicat des travailleurs de l'agriculture, certaines communautés élèvent plus spécialement des porcs, d'autres des vaches. Le travail est rationalisé selon les surfaces disponibles, la qualité du sol, les conditions climatiques. Plusieurs camarades ont été envoyés a l'Ecole d'Agricultute d'Aienys-sur-Mer, située non loin de là pour s'informer des meilleures techniques agricoles.

La superficie cultivée par les seize communautés atteint 700 hectares. Cette étendue sera doublée peut-être en prenant aux 4.000 hectares de bois la terre susceptible de mieux produire. Une partie de cette terre est plate, bien située et pourra servir pour obtenir des aliments dont Barcelone aura grand besoin.


 

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