INDICE DEL LIBRO

ANTERIOR

  SIGUIENTE

REGRESE A LIBROS


 

CHAPITRE IX

 

ECONOMIE DE GUERRE

OU SOCIALISME NAISSANT ?

 

«La Révolution est belle dans les livres. »

(Companys.)

 

Problèmes. - L'insurrection avait renversé toute la structure sociale et économique du pays. Les marchés étaient coupés des régions productrices ; le ravitaillement des villes n'était plus assuré, soit faute de communications, soit que les commerçants étaient en fuite ou fusillés ; les ouvriers étaient partis au front et les patrons avaient fermé les ateliers. Le commerce extérieur se ralentissait, les trains ne circulaient guère, le système bancaire était paralysé. De plus, la guerre nécessitait une redistribution des forces productives ; l'approvisionnement de la troupe en matériel de guerre prit la première place dans l'ordre des besoins. Les commandes passées avant le 19 juillet ne pouvaient pas être exécutées, faute de preneurs, Bref, il fallait recommencer à zéro, réorganiser l'économie privée et les services publics, surmonter le désordre. L'œuvre d'organisation achevée en si peu de temps par les syndicats et le gouvernement en est d'autant plus admirable.

Dans le secteur agraire, la tâche était moins difficile ; il s'agissait d'assurer la récolte et les travaux d'automne ; on pouvait laisser aux comités de village le soin de disposer des terres abandonnées par les seigneurs, d'organiser les travaux soit en commun soit individuellement, et de soumettre à chaque commune un plan de révolution agraire selon ses besoins et selon sa structure géographique et sociale.

Il était plus difficile de substituer à l'ancien commerce de vivres un nouvel organisme capable de ravitailler les villes, d'assurer l'exportation des excédents et l'importation nécessaire. Qui achètera le blé, alors que les meuniers ne le font plus ? Qui prendra le raisin exporté en temps normal par les grands établissements ? Qui achèterait la vaisselle fabriquée à Barcelone ? Que faire des importantes industries auxiliaires de l'agriculture et de l'exportation, la tonnellerie, la fabrication de caisses, etc. ? La tâche la plus importante était donc celle d'adapter l'industrie aux besoins de la guerre et aux conditions créées par l'insurrection.

Heureusement, la récolte abondante dissipa la crainte du pire. Par contre, on était obligé de réorganiser le commerce et la distribution en général, y compris les transports. Les ouvriers syndiqués s'adonnèrent à cette tâche d'une façon si admirable que les calomniateurs les plus audacieux n'ont pas nié le succès de cette nouvelle organisation qui se créait pas à pas. Dès la première semaine de la lutte, la distribution des vivres est réglée sur tout le territoire gouvernemental. A Madrid, les ouvriers des Halles s'occupent du ravitaillement des familles indigentes ; à Barcelone, les vivres expédiés par les syndicats continuent à arriver chaque matin ; les paysans affluent vers les villes, soit avec leurs petites charrettes, soit le panier au dos, pour vendre les marchandises dont ils garderont le bénéfice, puisqu'ils ne partagent plus la récolte avec les seigneurs. Aucun signe de sabotage de la part du peuple, - tandis qu'en territoire insurgé les travailleurs sont surveillés par des Requetes la baïonnette au fusil. Le 25 juillet déjà, le ravitaillement de la capitale est assuré par un comité composé de représentants de la municipalité et des travailleurs des Halles en état de mobilisation. 20 000 rations sont distribuées gratuitement aux familles des miliciens. A Barcelone, des restaurants populaires sont ouverts à quiconque peut produire un carnet syndical. Les boulangers sont solidement organisés pour assurer le pain quotidien de la population. Les milices reçoivent des bons du syndicat ou du gouvernement, bons qui leur servent de monnaie dans les restaurants et sont remboursés par l'organisation émettrice. Les marchés sont rigoureusement contrôlés par l'Office de rationalisation ; celui-ci fait un rapport hebdomadaire sur les arrivées et la consommation ; suivant ses indications, les transports arrivent la semaine suivante. La panique est évitée par un décret interdisant la hausse des prix. A Bilbao, on étouffe dans l'œuf toute éventualité de hausse illicite en émettant des assignats sur les vivres. A Barcelone, le monopole du ravitaillement en gros, établi par les syndicats et développé par Domenech, était effectif jusqu'en décembre. Au pays basque, les banques étaient contrôlées, les vivres rationnées, les grèves étaient interdites. Les propriétaires des usines étant loyaux, aucune expropriation révolutionnaire ne fut opérée. Les propriétaires des usines de guerre contrôlées recevaient une indemnité. Un impôt à taux progressif assurait au gouvernement autonome les moyens de faire la guerre. Les banques et les particuliers purent envoyer en France des millions d'effets avant l'arrivée des rebelles.

Mais il ne s'agit pas seulement du ravitaillement de la population civile. Il faut nourrir 100 000 miliciens, sans qu´un commandement militaire ait préparé un système d'étapes minutieusement, étudié, tel que chaque étatmajor le prévoit dans ses plans stratégiques. Pour organiser tout cela, il faut littéralement partir de zéro. L'organisation primitive consiste donc à loger les milices dans les villages et à laisser aux paysans le soin de les nourrir. Le gouvernement fait confiance aux paysans et ceux-ci s'acquittent de leur tâche avec enthousiasme. Ils partagent leur simple repas avec les soldats de la liberté, ils arrachent leurs rares broussailles pour les chauffer, ils sacrifient leur sommeil pour leur donner un toit et un lit.

En présence de tant d'exemples d'un esprit vraiment républicain, qu'importent les rares exemples de mauvaise volonté, de maladresse, de manque de compréhension. Certes, on a fait des réquisitions, surtout dans les premières heures du combat ; certaines troupes de milices ont procédé d'une façon maladroite et grossière, et Durruti lui-même a dû évacuer Pina à cause de dissensions avec les paysans - mais n'est-ce pas significatif qu'il se soit incliné devant la volonté de la population ? Dans des circonstances semblables, les insurgés ont simplement assassiné toute la population d'un village hostile.

Comment subvenir à des besoins accrus par la guerre avec des moyens réduits ? Une hausse des prix était fatale, la monnaie n'ayant aucune valeur en face d'une disette imminente. Les banques ne remplissaient plus leurs fonctions, l´Etat ne percevait pas de taxes. Les fortunes énormes qu'on avait saisies dans les églises, dans les couvents, dans les maisons des factieux, ainsi que l'or de la Banque d'Espagne, pouvaient être utilisés pour financer la guerre, mais cet argent s'en allait et ne revenait pas dans les caisses de l'Etat. Dans le secteur privé, les thésaurisations d'un côté, le manque de pouvoir d'achat de l'autre, devaient amener un désastre financier ; tout le réseau monétaire et financier était rompu. Puisqu'il n'y avait plus de circulation, la raison d'être de la monnaie était mise en question. L'Etat devait débourser, les usines contrôlées et socialisées, les syndicats et les municipalités devaient faire autant, sans que l'argent sorti remplît sa fonction d'animer le trafic des marchandises. D'un côté, la circulation était arrêtée, de l'autre, la monnaie circulait avec une vitesse invraisemblable. Les prix exerçaient une pression à la hausse et la peseta risquait de s'effondrer.

Pour sortir de cet embarras, on aurait dû nationaliser d'un coup toute l'industrie et tout le commerce du pays, mesure qui se serait heurtée au manque de techniciens. Le troc qui s'établissait tout de suite entre certaines coopératives et industries socialisées n'était qu'un expédient de circonstance qui ne suffirait jamais à remplacer le réseau compliqué des échanges dans une grande nation, à cause de la simplicité de relations bilatérales qu'il présuppose. Durant quelques semaines il fallait vivre de stocks hérités du régime antérieur. On procéda, en conséquence, à la réquisition générale. Les marchands de vivres, les marchands de charbon, les stations d'essence, les commerçants en matières premières, les hôpitaux mêmes devaient déclarer leurs stocks.

Moyens de fortune. - On ne pouvait faire cesser les saisies et réquisitions sans organiser les marchés. Le gouvernement et les municipalités établirent le contrôle du commerce de gros, les syndicats et certaines coopératives nouvellement crées se substituèrent aux marchands enfuis. Les plans régionaux que les anarchistes avaient préparés, depuis longtemps, surtout en Catalogne, servirent beaucoup à faciliter cette réalisation.

Le second problème, celui de fabriquer des armes, était beaucoup plus facile à résoudre. Les usines à cartouches et à fusils étaient peu nombreuses et pouvaient être nationalisées en peu de temps. Les matières premières nécessaires à l'industrie de guerre, les fabriques d'automobiles, d'accumulateurs électriques, les services publics, les ateliers de l'aéronautique, les fonderies, les mines, etc., furent prises en charge par l´Etat ou par les syndicats. On arriva bientôt à produire trois avions par jour, 800 000 cartouches, et ainsi de suite. Le problème qui, durant toute la guerre, ne fut jamais suffisamment résolu était la pénurie des matières premières. L'essence fut rationnée dès le premier jour; on ne pouvait pas s'en procurer sans l'autorisation d'un service gouvernemental, syndical ou militaire. Le fer et la poudre manquaient sensiblement. Sous le regime de la non-intervention, on ne pouvait pas en importer en quantité suffisante. L'armement des milices restait inférieur à celui des insurgés pendant toute la guerre. La faute en était tantôt à des circonstances échappant au contrôle du gouvernement tantôt au manque d'unanimité et d'organisation. On aurait bien pu construire de nouvelles usines pour la fabrication d'armes, et en fait, on en a aménagé quelques-unes, mais ce qui entravait gravement ces travaux, c'était la jalousie qui ne cessait de régner entre les différentes organisations et services gouvernementaux : les usines qui commencèrent à travailler en Catalogne dans la deuxième moitié de l'année 1937 auraient été mises en marche bien avant cette date, si les communistes et Prieto l'avaient voulu. Mais les uns craignaient que l'Espagne ne se rendit indépendante des fournitures russes et l'autre voulait empêcher toute industrie de guerre qui aurait échappé à son contrôle. D'autre part, le gouvernement central ne voulait pas faire de la Catalogne je grand fournisseur d'armes duquel dépendrait le sort de la République. Ces jalousies des sommités de l´Etat augmentèrent le désordre sous prétexte de le combattre. En septembre, Durruti exposa au gouvernement les raisons d'installer une industrie de guerre en Catalogne. Le gouvernement accepta et l´on commença à aménager quelques usines pour la production de guerre ; mais les armes lourdes n'y furent pas fabriquées.

La construction mécanique catalane était arrêtée net, parce que les ingénieurs avaient emporté les dessins. Il a fallu d'énormes efforts pour suppléer au manque de dirigeants et à la défaillance des marchés causés par la guerre. Finalement on eut recours à des techniciens étrangers. Le désordre coutumier de l'industrie espagnole était doublé d'un désordre particulier dû à la situation actuelle. Aucun plan d'ensemble ne liant les mesures prises d'urgence, les bons projets des syndicalistes s'avéraient aussi inefficaces que ceux des priétistes. Le gouvernement affectait - en octobre encore 200 000 pesetas aux travaux publics, alors qu'on avait besoin de toutes les mains disponibles pour mettre sur pied une industrie de guerre. Le secteur de l'industrie privée restait faiblement organisé, car le gouvernement se contentait d'y « intervenir », c'est-à-dire d'exercer un contrôle sans lui imposer un plan adapté soit aux besoins de la guerre soit aux fins de la révolution.

L'oubli le plus grave, à notre avis, était qu'on laissait entière liberté aux banques ; Juan Peiro se plaint de ce que le Credito Industrial retenait une commission de 20% sur une somme versée par son intermédiaire au ministre de l'Industrie sur l'ordre du ministre des Finances. La Banque d'Espagne était contrôlée, mais conservait son indépendance administrative.

On allait faire face à un régime de disette ; on rationna toutes les marchandises principales. D'autre part, on déclara le moratoire des banques, des loyers, des services publics ; on créa des comités de surveillance pour l'industrie et les services publics ; des comités d'intervention pour les banques et le commerce. Le gouvernement s'octroya un crédit pour le paiement des soldes, par simple décret, et il se fit ouvrir de nouveaux crédits par les grandes banques sous forme de souscriptions nationales à la caisse de guerre, de dons aux hôpitaux, etc. Ceci montre bien la réaction timide et hésitante du gouvernement en face des événements. On voulait éviter tout ce qui pût ressembler à la nationalisation, voire à la socialisation. Le résultat de cette politique ne se fit pas attendre : les mesures qui devaient être prises plus tard devinrent de plus en plus « étatistes ». Le gouvernement fut amené à contrôler tout le marché financier, les changes, le commerce extérieur, et enfin presque tout commerce et toute industrie. Et pourtant il vivait essentiellement du stock d'or de la Banque nationale. Le pays s'appauvrissait chaque jour davantage. Il va sans dire qu'il n'en allait pas d'une façon différente du côté insurgé. Seule la structure agraire de l'Espagne l'a sauvée d'une catastrophe générale.

A la suite de la disparition du moyen d'échange, beaucoup de communes agricoles se trouvaient entièrement coupées du monde extérieur. Cela permettait aux libertaires de réaliser leur rêve d'une société sans argent. Au lieu des notes et pièces du gouvernement, on émit des signes communaux conçus d'après des idées aussi variées que confuses. L'autarcie communale complétait ce système qui consistait en une répartition plus ou moins égale des stocks existant au 19 juillet. Après quoi, on risquait de mourir de faim, mais n'empêche, l'idéal anarchiste était encore mieux servi par une vie d'ascète que par le luxe bourgeois ; le caractère foncièrement puritain du mouvement anarchiste servait d'idéologie pour cette organisation de la misère, de même qu'il amenait les milices à epurer les grandes villes des quartiers moralement insalubres, à s'interdire la fréquentation des bars et à imposer une vie chrétienne aux camarades.

Réalisations. - Les nouveaux dirigeants placés sous le régime de la disette s'efforçaient de faire des économies ou de ranimer les affaires grâce à de nouveaux principes de gestion ; la plus importante économie consista, évidemment, à supprimer les énormes frais de gestion et les dividendes ; ensuite, on organisa la baisse des prix pour mettre les services à la portée d'un plus grand nombre, - mesure qui réussit au début, jusqu'à ce que la hausse des matières premières rendît difficile la poursuite de cette expérience.

Mais un autre facteur agissait, non moins important que le facteur financier : la psychologie du travail. Le zèle des ouvriers, leur dévouement à l'œuvre, leur empressement à apporter des innovations utiles et à rationaliser les usines et les services, tout cela contribua à augmenter le rendement dès que les ouvriers travaillèrent pour la cause commune et pour leur propre bien-être. Ils substituèrent à leurs effectifs réduits par la guerre l'intensité du travail ; ils augmentèrent le rendement, tout en envoyant au front des services gratuits et en entretenant les familles des miliciens.

Pour les travailleurs, il y avait surtout les améliorations dans le travail même, à la suite des collectivisations. Les ouvriers qui s'étaient opposés à l'emploi de machines modernes mirent tout en œuvre pour s'en procurer maintenant qu'ils ne craignaient plus d'être licenciés. La rationalisation faisait des progrès énormes sous

la direction de comités désireux,de faciliter le travail à leurs camarades et de rendree plus efficaces les méthodes de travail. Des procédés manuels furent remplacés par des procédés mécaniques, l'organisation technique de l'atelier fut améliorée, bref, la collectivisation permettait enfin de mettre à profit tous les avantages de la collaboration, de la division du travail et du machinisme. Le regroupement des ententes industrielles et des consortiums éliminait l'émiettement et le désordre caractéristique du régime capitaliste : les usines répartissaient entre elles la production qu'auparavant la concurrence avait fait entreprendre un peu partout au hasard.

Les entreprises, libérées des lourdes charges de l'ancienne gestion et de ses objectifs financiers, préparaient les bases d'une société productive s'inspirant de nouveaux principes. C'est ainsi que les grandes entreprises collectivisées se sont occupées des questions culturelles en fondant des écoles, en construisant des habitations ouvrières, en équipant des hôpitaux ou des installations sanitaires, etc. On s'étonne de voir s'épanouir en pleine guerre une si grande activité d'amélioration sociale. On est même tenté de dire que plus l'activité révolutionnaire était grande, plus l'activité dans le domaine militaire devenait intense. Loin de se contredire, les deux bras de la révolution, la reconstruction économique et la lutte armée, se complétaient.

Les ouvriers, devenus enfin les maîtres de leurs moyens de production et qui voyaient devant eux l'avenir heureux d'une nouvelle société, combattaient avec un zèle hardi sur les deux fronts, celui du travail et celui de la guerre. Dans les entreprises moins « avancées », on mit en vigueur, enfin, les conventions collectives.

Les plans pour, l'augmentation, des richesses nationales, cependant, se heurtèrent aux difficultés de l'heure ; car ils auraient nécessité des placements de grande envergure, Faute de capitaux, faute de temps, faute d'hommes et faute d'un plan d'ensemble, et surtout à cause de la guerre, toute l´œuvre de reconstruction économique fut ajournée au lendemain de la victoire. Loin de créer l'abondance rêvée, on se trouvait sous l'empire de la détresse ; la guerre étouffait la révolution économique comme elle dévorait la révolution politique. On notera pourtant que la révolution a fait reprendre le travail dans les usines fermées, qu'elle a fait creuser de nouveaux puits, qu'elle a fait irriguer des champs et électrifier des villages.

L'économie révolutionnaire. - Quatre structures sociales rivalisaient dans l'organisation économique : le syndicat était le noyau le plus révolutionnaire et le plus dynamique ; la municipalité, centre traditionnel de gravitation sociale, était l'unité naturelle qui apparut dès que l´Etat se fut effondré ; l'étatisation préconisée par les marxistes et acceptée comme pis-aller par des républicains bourgeois représentait en même temps la solution la plus progressive en état de guerre et un élément de freinage contre les solutions révolutionnaires ; le secteur privé, enfin,, s'organisait sous différentes formes allant de la coopérative au commerce libre. Finalement, la guerre fit pencher la balance en faveur d'un contrôle par l'Etat.

Incautation veut dire « prise en charge ». C'était la forme typique de l'expropriation d'une entreprise quelconque. Les ouvriers d'une usine ou d'une exploitation agricole, les employés d'un service public ou d'un magasin, d'une banque, etc., se chargeaient de l'exploitation soit à leur propre compte, soit par l'entremise d'un Conseil d'usine, soit sous la direction de l'Etat, soit sous les auspices de la municipalité ou du syndicat. Où le patron était fasciste, c'était l'expropriation pure et simple ; maintes fois, le patron continuait son travail comme employé de son ancien établissement ou comme directeur technique sous le contrôle de l'Etat ou d'un comité ouvrier. Les entreprises « incautées » de cette façon étaient devenues propriété des ouvriers qui y produisaient... les mêmes marchandises qu'ils avaient fabriquées auparavant.

L'« incautation » ne substituait pas un plan au manque d'organisation de la production capitaliste. Pour construire une économie socialiste, il fallait un plan et une organisation économique. Les délégués des usines « incautées » se seraient-ils réunis pour former une commission planiste, les centrales syndicales se seraient-elles concertées pour dresser un plan économique, que le pouvoir syndical aurait été incontesté. L'expropriation n'est que le premier acte de la socialisation. Les ouvriers ayant laissé le soin d'organiser le deuxième acte à des pouvoirs étrangers à leur mouvement, la révolution fut arrêtée dans le domaine économique bien avant qu'elle ne s'arrêtât dans le domaine politique, L´« incautation » ne créa qu'une sorte de « capitalisme syndical ».

La socialisation intégrale fut désignée par le terme « Collectivizacion » et ne s'appliquait qu'à la propriété des insurgés. A Madrid, 30 %, et à Barcelone, 70 % de l'industrie étaient « incautés » ; à Ciudad Real, en revanche, seule l'usine d'électricité fut appropriée par la municipalité socialiste. D'autre part, le mot « collectivisation » couvre beaucoup de mesures qui ne sont pas révolutionnaires. A Talavera, il désignait la participation des ouvriers aux bénéfices. Maintes fois, les bénéfices des usines « incautées » furent versés aux milices entretenues par celles-ci ou au syndicat ; un syndicat continuait même à percevoir les redevances domaniales que les paysans avaient payées au patron avant le 19 juillet. Borkenau cite le cas d'un syndicat qui disputa aux ouvriers les arriérés que l'ancien patron leur devait.

Peu de touristes révolutionnaires qui ont fait des récits de leurs voyages ont vu les communes libres à l'œuvre. Cellules initiales de la révolution jusqu'en 1936, elles furent, pourtant, la première réalisation de la lutte dans toute la Péninsule. La police vaincue, l'Etat disparu, on procéda à l'organisation de la société libérée, sous forme de la commune du village, de la ville, et même du faubourg. Les champs furent municipalisés et l'assemblée des citoyens de la commune établit les plans de travail les services publics, les fonctions de police, de l'éducation, etc., tout fut municipalisé. Les faubourgs, tendant à se séparer des grandes villes, se donnèrent un statut établissant leur « personnalité ».

L'autonomisme municipal prétendait organiser l'économie nationale ; mais s'il a rendu des services précieux dans son domaine par la mise en valeur des richesses locales, il devait échouer en tout ce qui a trait à la production nationale et à l'économie de guerre. Ni l'autarcie municipale, ni le troc entre régions libres, ni les accords d'échange intervenus entre les communes n'ont pu établir une organisation définitive de la vie économique du pays. Dans les communes libres, la disette était même plus grande que dans les communes dépendant des pouvoirs centraux. Sous les ruines de l'ancienne société espagnole, l'année 1936 aura enseveli à jamais les vieux rêves fédéralistes des Espagnols. Dans le domaine municipal, l'insuffisance de l'économie espagnole apparaissait trop clairement pour ne pas révéler l'état désuet de cette ancienne organisation. En effet, c'est aux communes qu'incombaient toutes les tâches dont le pouvoir central ne pouvait plus se charger, telles que l'organisation des travaux publics, l'entretien des milices, les nouvelles méthodes de la distribution ; les dépenses somptueuses ne pouvaient être couvertes que par l'augmentation de l'octroi et de certaines taxes fort impopulaires. En fin de compte, les communes catalanes étaient obligées d'abandonner une partie de leur « personnalité » en sollicitant le secours financier de la Généralité. Il reste cependant que les communes ont exproprie la propriété bâtie, réorganisé le régime des impôts et maintenu, aux heures les plus graves, la vie économique.

Dans son magnifique reportage sur Puigcerda, Louzon a décrit la gestion combinée de la municipalité et des syndicats (L´Espagne nouvelle, 3 juillet 1937). La commune n'était révolutionnaire que si elle servait de cadre aux syndicats. En 1937, au contraire, elle servait de cadre à l'Etat centraliste, qui transférait les usines « incautées » aux municipalités pour les soustraire aux syndicats. La commune libre n'était plus un élément révolutionnaire; elle pouvait être utilisée par les forces qui la dominaient.

A côté des entreprises « incautées » ou « collectivisées », dont la plupart se trouvaient en Catalogne, il existait des entreprises « intervenidas » ou « contrôlées », Ce régime s'étendait à la plupart des grandes entreprises, des mines, chemins de fer, services d'eau, de gaz et d'électricité dans le reste de la Péninsule. Bientôt on y ajouta les banques, assurances, grands magasins, etc, Cette « intervention » fut effectuée par l'Etat, soit sous forme d'un contrôle de l'entreprise privée ou « incautée » soit sous forme d'une gestion directe. Beaucoup d'usines étaient gérées, de cette façon, par des comités composés de représentants de l'Etat, de la direction et des ouvriers; en d'autres endroits, l'Etat cédait ses fonctions de contrôle à la municipalité. De toute façon, la gestion des affaires fut rattachée à la gestion de l'économie nationale d'une manière plus efficace qu'elle ne le fut par la seule « incautation ». Mais le contrôle n'était ni l'expropriation ni la nationalisation.

Lutte de classes. - Le prolétariat des champs et des usines avait mis la main sur les moyens de production et n'était pas prêt à les lâcher. La participation ouvrière à la direction, le contrôle, la municipalité socialisée et la coopérative rurale étaient la base de l'économie, surtout en Catalogne. Peu importe la modalité particulière de la mainmise en chaque ville, peu importe telle amélioration du bien-être, telle augmentation du salaire, telle application de l'allocation familiale — à la vérité ces conquetes sociales ne furent énoncées que pour en établir le principe et, en beaucoup d'endroits, l'écart entre la réalité et la constitution écrite de la collectivité était encore assez grand. Mais on possédait les moyens de production; on avait franchi le pas décisif du régime de la propriété privée à la propriété collective.

L'agriculture catalane et aragonaise marchait à la tête de ce mouvement. La terre appartenait aux cultivateurs et la production agricole fut organisée par les syndicats ouvriers et paysans.

Il s'avérait, cependant, que l'appropriation des moyens de production ne donnait pas tout le pouvoir économique aux ouvriers; les banques et le commerce, c'est-à-dire la sphère de la circulation, demeuraient le domaine de leurs adversaires, et c'est de là que partit l'attaque antisocialiste. En décembre, date à laquelle Comorera prit le portefeuille de l'Economie en Catalogne, le contrôle des prix fut levé. Le ravitaillement de la population se heurtait à des difficultés de plus en plus grandes — et on en rendait les syndicats responsables.

Pour parer à la défaillance du commerce non organisé, on attaqua le commerce organisé des syndicats. Le commerce de gros se trouvait réinvesti de fonctions qui, dans une économie de guerre, doivent être exercées par des organismes d'Etat. Le commerce illicite et la spéculation pouvaient s'emparer des marchés, de ceux mêmes que l'Etat contrôlait grâce au monopole du commerce extérieur, tel le tabac.

La disette, qui est fatale en temps de guerre, se trouvait accrue du fait qu'elle fut organisée par ceux qui voulaient en profiter: les mercantis, d'une part, et les politiciens désireux de démontrer au public l'incompétence des syndicats, d'autre part. Comorera déployait toutes ses capacités d'organisateur pour désorganiser le ravitaillement de la population catalane et des milices aragonaises.

Les syndicats réglaient la distribution du froment, d'abord par des moyens de fortune, plus tard d'une façon régulière. Mais le lait et la viande n'arrivaient dans les grandes villes qu'au compte-goutte. Les ménagères supportaient cet état de choses avec une sérénité émouvante mais elles ne pouvaient pas s'empêcher de critiquer les abus provoqués par le commerce interlope. En mars 1937, la hausse était de 90 % depuis juillet; la hausse illicite dépassait même ce taux. Les adversaires des syndicats se servaient des queues devant les boutiques pour leur propagande. On a vu des Guardias montés inquiéter une queue en face d'un placard communiste disant: « Moins de comités, plus de pain. »

Juan Peiro et Juan Lopez, les deux ministres anarchistes, se plaignent dans leur compte-rendu de mandat de ce que le ministre des Finances, Negrin, provoquait toutes sortes de difficultés destinées à discréditer les collectivités. On n'aurait pas effectué le versement des fonds de roulement promis, on n'aurait pas appliqué les mesures convenues, on aurait même esquivé la discussion de certaines questions concernant l'industrie de guerre. Les planteurs d'oranges de la région de Valence se virent privés du fruit de leur travail parce que la moitié des sommes produites par la vente en France fut affectée au règlement des dettes arriérées envers ce pays et que le ministre de l'Agriculture, le communiste Uribe, se déclara incompétent à verser la différence au syndicat qui, restant débiteur des paysans, s'attira leur haine. Les services syndicaux de ravitaillement se voyaient privés de moyens de transport par un décret de réquisition, lequel tendait aussi à soustraire aux syndicats la position stratégique que constitue la domination des transports.

Sous prétexte de protéger le petit propriétaire, une vaste campagne fut déclenchée contre les exploitations collectivisées. Le pouvoir prolétarien rasemblé dans les collectivités indépendantes et dans les syndicats est moins facile à dominer que le paysan isolé.

La révolution ne peut s'arrêter à mi-chemin. Si elle ne se charge pas de l'organisation économique, d'autres centres de cristallisation, envahissant l'espace vide, viennent se substituer à elle. Or, en Catalogne seulement, les révolutionnaires ont formé un organisme coordinateur, le Conseil économique.

Le problème de l'économie de guerre fut posé en décembre par le parti communiste de la façon suivante:

« La guerre sera gagnée par qui disposera d'une industrie capable de fournir au front et à l'arrière tout ce qui est nécessaire. Cela est généralement admis; mais on tarde encore à le mettre en pratique. On a fait quelques pas vers la création d'une industrie de guerre; nous commençons à produire nous-mêmes une grande partie de ce qui est nécessaire au front; mais ce que nous avons réalisé n'est qu'une part minime de ce que nous pourrions produire. Us grandes usines du Levant, de Catalogne et de l’Euzkadi peuvent être transformées rapidement en grandes industries de guerre, Mais une œuvre d'une si grande envergure ne saurait être accomplie sans un plan coordinateur capable de mobiliser tout l'énorme volume de recours que ces fabriques représentent. Il nous faut soutenir toute initiative dirigée vers la transformation des industries de guerre sous une direction unique. Il faut en finir avec les « incautations » isolées de fabriques, avec la dispersion chaotique de la production, où chacun produit ce qu 'il juge bon pour le ravitaillement du front et de l'arrière. Nous avons aujourd'hui l'anomalie que les matières premières abondent dans une branche et que d'autres chôment à défaut d'elles, Il faut que le gouvernement applique une politique unique; il faut nationaliser le industries de base nécessaires à la guerre et coordonner ces industries à l'aide d'un plan établi par un conseil de coordination sous la direction d'un ministre compétent, qui distribue les matières premières et règle la production selon les nécessités. On ne peut pas continuer cette autonomie arbitraire où chaque syndicat et groupe dirige son atelier ou son centre de production sans tenir compte du reste des fabriques dans le pays... Pour éviter une crise grave de la production, il faut que le conseil que nous proposons rationalise la production et augmente le rendement et la qualité... Pour arriver à un emploi plus rationnel du matériel humain et mécanique, l'unité syndicale est d'une importance fondamentale. »

Il est évident que cette motion visait les syndicats. Au lieu de coordonner l'activité des organismes syndicaux, on s'attachait à créer un nouvel organisme étatiste qui devait concurrencer les syndicats d'abord pour s'y substituer finalement. Cette dualité rendait impossible ce qu'elle prétendait vouloir atteindre.

Les organisations de fortune que les syndicats et municipalités avaient créées devaient se coordonner pour établir le plan du travail. Tant que la guerre semblait encore un épisode éphémère de la révolution, on pouvait espérer que tout s'arrangerait ultérieurement. Mais plus elle durait, plus la transformation de l'industrie de consommation en industrie de guerre devenait nécessaire. La guerre continuait à absorber les meilleurs travailleurs, tout en exigeant de nouveaux efforts dans la production. Beaucoup d'usines s'approchaient de la ruine dans la mesure où elles épuisaient les stocks hérités de l'ancien régime; il fallait faire appel au crédit de la Banque d'Espagne, du gouvernement ou des municipalités.

Les autorites profitaient de l'occasion pour reprendre le contrôle des établissements; le contrôle des exportations et des importations et le contrôle des changes leur fournissaient le moyen d'imposer leur volonté aux entreprises socialisées. C'est ainsi que bientôt les « incautations » furent levées, les usines étrangères restituées à leurs propriétaires (pour être ré-« incautées » par l'Etat quelque temps après, sous l'empire des nécessités de la guerre). Le contôle ouvrier remplacé par le contrôle communal, le régime mixte transformé en régime étatiste, la direction effective des usines revenait de plus en plus aux techniciens désignés par le gouvernement et qui, très souvent, étaient les anciens propriétaires.

Au début de l'année 1937, l'Etat faible se faisait remplacer par la municipalité. Le décret relatif au transfert des services publics et d'autres usines à la municipalite était un coup mortel asséne à l'économie syndicale.

On ne peut pas espérer qu'une révolution se déroule dans un ordre parfait et qu'elle ne fasse pas de dégâts; il est certain que les circonstances n'étaient pas favorables à la formation d'un nouveau cadre de l'économie nationale. La révolution n'avait pas créé les difficultés; elle s'imposait précisément parce qu'il était impossible de partir de l'organisation économique défaillante qu'on avait héritée.

Mais qui allait organiser les résidus de l'ancien régime? Quel moyen employer pour encadrer le commerce libre dans l'économie dirigée, alors qu'il résistait aux invitations d'adhérer aux coopératives ou aux syndicats? L'importance de ce secteur privé a nécessité l'intervention de l'Etat, comme garant de la légalité; entre l'organisation révolutionnaire et l'organisation « étatiste », le choix du petit propriétaire est fait. Voilà qui lie l'Etat à la propriété privée!

Economie de guerre. — Le parti communiste a reconnu le premier les nécessités de l'économie de guerre. A l'opposé de l'optimisme qui dominait dans tout le milieu gouvernemental, le parti communiste a eu le courage de dire au peuple, dès le commencement des hostilités, cette vérité que la guerre serait longue et qu'elle exigeait la mobilisation économique générale.

« Nous sommes obligés de devenir des soldats, dit la Pasionaria dans un article écrit après la formation du premier cabinet Caballero, la guerre exige que toute la population civile soit mobilisée, il est grand temps de prendre les mesures économiques qui seules peuvent garantir la victoire Il faut commencer par organiser la distribution des vivres, pour en finir avec les queues, que les provocateurs utilisent pour leur propagande. Il est grand temps d'en finir avec les pratiques qui veulent garder les apparences. Le travail dans les usines doit être soumis à une organisation unique. Tous les citoyens doivent travailler à concurrence de ce qui est nécessaire pour assurer la victoire. Il faut établir une discipline du travail... L'ennemi se sert des moyens les plus sournois; il cache les vivres nécessaires à la population; il organise la hausse des prix; il fait le sabotage; il répand des rumeurs démoralisantes; il retient dans l’arrière ce qui est indispensable au front: il s'oppose à des mesures qui s'avèreront urgentes déjà le lendemain... Il faut en finir avec cet état de choses. Il faut établir le travail obligatoire, le rationnement des vivres, la discipline, et des sanctions rigoureuses contre la saboteurs. »

D'une façon générale, on peut résumer comme suit la situation économique de l'Espagne gouvernementale en dehors de la Catalogne et de l'Aragon, d'une part, et du pays basque, d'autre part:

« 1. La grande propriété rurale est entièrement aux mains des syndicats qui en assument la gestion, technique et commerciale, paient les impôts et assurent le ravitaillement de l'armée et des villes.

2. Aucun changement n'est intervenu dans le régime de la petite propriété; mais les paysans se sont associés dans des organisations fortes — sous diverses dénominations — grâce auxquelles ils résistent victorieusement à l’Etat et aux syndicats citadins.

3. Toute vente-achat, toute aliénation d'immeubles et toute hypothèque entre particuliers sont rigoureusement interdites. Le gouvernement — souvent par l'intermédiaire du syndicat — perçoit sous forme d'impôt l'ancienne rente foncière. Le loyer citadin est rabaissé de 40% ou n'est pas payé du tout.

4. Toutes les denrées alimentaires de première nécessité sont soumises au régime du prix fixe. Dans le commerce illicite, cependant, qui fleurit surtout à la proximité des grandes villes, les prix sont en hausse. Beaucoup de paysans se sont repliés sur leur ferme et ont établi leur petite autarcie.

5. L'industrie lourde, les mines, les transports, les usines nécessaires à la guerre sont nationalisés et gérés par des comités composés de délégués syndicaux et de représentants de l’Etat. Les anciens agents de maîtrise et les directeurs ont repris leurs places, on manque de techniciens. L'Etat perçoit le dividende des actions saisies à la suite de l'expropriation punitive des partisans de l'insurrection.

6. Les entreprises appartenant à des étrangers ont été restituées à leurs propriétaires, mais sont soumises au contrôle de l’Etat dans le cas où elles intéressent le ravitaillement de l’armée.

7 Le système fiscal n'a guère changé, mais les revenus imposables ont diminué et les collectivités résistent au percepteur. D'autre part, les dépenses de l’Etat vont augmentant, du fait de la guerre, des subventions payées aux entreprises en difficulté, des travaux publics, du gaspillage inévitable en temps de changement de régime; l’Etat en est réduit à deux expédients: dépenser l'or de la Banque d’Espagne et augmenter la circulation monétaire. La peseta ne vaut que le tiers de son ancienne valeur, les prix non réglementés sont en hausse continue, encore entretenue par la fuite générale devant la monnaie.

8. Sous le régime du moratoire bancaire et à la suite des «incautations», la circulation monétaire a été troublée; le établissements de crédit épuisent leurs fonds; malgré l'annulation de facto des anciennes redevances commerciales et des passifs, les usines n'arrivent guère à balancer leurs finances; la fermeture des débouchés, d'une part, la hausse des matières premières et leur pénurie, d'autre part, rendent dérisoire tout effort d'établir une comptabilité capitaliste. Les usines doivent conserver du personnel devenu superflu en face d'un marché réduit: les usines nouvelles commencent à travailler avec des fonds de roulements insuffisants.

9. En dépit de ces difficultés, la production est maintenue et souvent augmentée et améliorée, Il n'existe aucun plan général, ni un office qui pourrait en élaborer un.

10. Une nouvelle industrie de guerre est créée qui, sous la direction de techniciens étrangers, donne des résultats satisfaisants.

11. Une grande œuvre de progrès civil est accomplie: des milliers d'endroits obtiennent l'adduction d'eau potable, l'irrigation est améliorée ou nouvellement créée sur une superficie de quelque 100 000 hectares; les canaux sont cimentés pour économiser l'eau; les milliers de puits à pompe sont forés; le réseau de routes a été étendu et amélioré; l'électrification des chemins de fer a été commencée et la génération d'électricité à l'aide de la houille blanche fait des progrès; la rationalisation est poussée très loin.

12. L'autarcie involontaire se fait sentir surtout dans le ravitaillement de la population urbaine et dans le ravitaillement en carburant de l'industrie et des transports. Les trains circulent rarement et les automobiles sont réservées aux besoins officiels.

13. Le commerce extérieur est contrôlé par le gouvernement.

14. Le commerce de gros est presque entièrement libre dans l'alimentation et dans la plupart des branches indépendantes de l'industrie de guerre.

15. Les revenus oisifs sont tombés à zéro.

16. Les petits commerçants font de bonnes affaires pourvu qu'ils obtiennent des marchandises.

17. Les grands commerçants profitent de la pénurie et trouvent nombre d'occasions de s'infiltrer dans la circulation des marchandises.

18. La tendance générale de l'évolution économique est indiquée dans ce reportage de l'Economist:  "D'une manière discrète, l'intervention de l'Etat dans l'industrie, allant à l'encontre de la collectivité et du contrôle ouvrier, rétablit le principe de la propriété privée. Le représentant du gouvernement qui dirige l'entreprise, est, dans la mesure du possible, l'ancien propriétaire. " En été 1937, les propriétaires expropriés se virent octroyer le droit de demander une procédure judiciaire destinée à établir la légalité de l'expropriation.

19. Le gouvernement paie les intérêts de la dette extérieure et le dividende des actions appartenant à des étrangers.

20. Les conventions collectives règnent dans toute l'industrie; elles comportent souvent la participation des ouvriers à la gestion et aux bénéfices.»

Pour mettre le point, l'économie espagnole au bout de la première année de guerre offre l'aspect typique d'une économie de guerre, sur laquelle s'est greffée une ébauche d'économie corporative. L'activité économique est animée et contrôlée par les commandes de l'Etat qui l'alimente à l'aide de l'inflation; les collectivités syndicales et fédérales gardent des positions importantes, soit en qualité d'organismes autonomes soit en qualité d'organismes gouvernementaux.


 

 INDICE DEL LIBRO

ANTERIOR

    SIGUIENTE 

REGRESE A LIBROS