En
considérant les communistes comme l’avant-garde de la contrerévolution en
Espagne, nous ne voulons en aucune façon minimiser la responsabilité que
partagèrent avec eux les socialistes et les autres partis «antifascistes».
Leur action ne fut pas diminuée, peut-on dire, par la politique souvent contrerévolutionnaire
des chefs de la CNT-FAI. Nous nous proposons de traiter du rôle des communistes
dans le but de détruire le mythe, difficile à tuer, du rôle important joué
par le PC dans la lutte contre Franco, mythe qui a été amplement diffusé par
des millions de livres et de brochures, publiés à cette époque chargée d’événements
et même plus tard, soit par les communistes eux-mêmes, soit par des écrivains
qui étaient à l’époque leurs compagnons de route. Ceux-ci furent complètement
trompés par leg récits de «1’efficience» communiste, de l’aide «désintéressée»
donnée à l’Espagne par la Russie et, en dernier lieu, mais non pas le
moindre, de la tactique de Front Populaire du PC. Ceci pourra peut-être
expliquer aussi comment un parti insignifiant par son influence et par son
nombre fut en mesure de jouer le rôle dominant qu’eut le PC en Espagne, non
pour l’unité et la victoire sur Franco, mais comme artisan de la désunion,
de la contrerévolution et de la défaite.
Les
observateurs non communistes sont d’accord sur le chiffre de 3 000 membres du
PC espagnol avant les élections de février 1936 et les renseignements de
source procommunistes même n’admettent qu’un nombre 10 fois plus éleve
*.
Reste le fait que pendant les quinze ans de leur existence comme Parti, les
communistes n’ont pas réussi à se faire une escorte consistante parmi les
classes travailleuses, sauf à Seville et dans les Asturies. Jusqu’en 1934 ils
suivirent fidèlement les lignes d’action du Komintern et leur politique fut
donc d’extrême gauche et d’opposition à tout compromis avec l’État
bourgeois. Mais à l’époque de la signature du pacte franco-russe, le
Komintern abandonna sa tactique d’extrémiste de gauche pour appuyer le Front
Populaire et s’infiltrer dans les partis bourgeois déjà méprisés. Le
programme du Front Populaire en Espagne était de nature si douce que même la
proposition socialiste de nationalisation des terres fut écartée parce que les
républicains ne pouvaient 1’accepter. Mais cela, ne troubla pas les
communistes dont l’habileté à changer de politique sans le moindre scrupule
nous est déjà trop familière. Moscou, à cette époque, avait hâte de
prouver aux puissances occidentales qu’il avait cessé d’être révolutionnaire
pour devenir un allié désirable. Cette orientation de la politique extérieure
russe explique l’orientation à droite du PC, autant en Espagne que dans les
autres pays, et la répugnance avec laquelle la Russie participa à la lutte armée
espagnole. Ce n’e’tait pas la première fois que les leaders russes étaient
prêts à sacrifier leurs positions révolutionnaires, y compris celles où ètaient
engagés leurs propres satellites, quand ces luttes étaient en contradiction
avec la politique extérieure russe.
*
Le parti communiste avait «à peine 800 militants en 1931» (Historia del
Partido comunista de Espana, p. 68) (N. d. T.).
Aux
élections de février 1936 qui furent une victoire du Front Populaire, les
communistes obtinrent 16 sièges parlementaires, contre uu seul: obtenu au
parlement précédent, augmentation en complète disproportion avec celle de
leurs effectifs. Dans les mois qui précédèrent la révolte de Franco, les
communistes avaient cherché par tous les moyens à augmenter leur nombre parce
qu’èvidemment tant que celui-ci resterait de 3 000 (ou même de 30 000) tout
espoir d’imposer leur dictature ètait vouè à l’echec. Bien qu’ils aient
prêché l’unité des classes travailleuses comme base de l’émancipation
ouvrière, leur rôle dans cette lutte a toujours été de diviser les
travailleurs
30. Le lecteur se
rappellera une citation du «Labyrinthe Espagnol» rapportée au début de cette
étude, et dans laquelle on observait que, dans les zones où les anarchistes étant
les plus forts, le mouvement socialiste était plus réactionnaire, tandis que,
là où les anarchistes étaient en minorité, ils éussissaient par leur action
de militants à entraîner les socialistes vers la gauche. Il était naturel
donc pour les communistes, après avoir renié leur propre intransigeance à
l’égard de la démocratie bourgeoise et du mouvement de Front Populaire, de
chercher à s’infiltrer dans les rangs socialistes dans des zones où les
anarchistes étaient les plus forts. Et en effet, leur premier succès eut lieu
en Catalogne. Là, les faibles socialistes, dirigés par une des plus sinistres
figures du socialisme espagnol, Juan Comorera y Soler,
«étaient
orientés à droite plus que toute autre section socialiste espagnole. A
Barcelone, où le mouvernent ouvrier était anarchiste, ils eurent pour but
principal de combattre l’anarchisme
*».
*
F. Borkenau «The Communist International», Londres, 1938.
Seulement
quatre jours après le soulèvement de Franco, les communistes fusionnèrent
avec les socialistes catalans pour former le PSUC (Parti Socialiste Unifié
Catalan). Ce fut le premier exemple d’un parti socialiste fusionné avec les
communistes, et ce fut un mouvement favorable aux communistes qui, à l’époque,
n’avaient pas plus de 200 membres dans toute la Catalogne. L’étape suivante
consista pour eux à se gagner l’appui des autres adversaires des anarchistes
tels que les boutiquiers, une partie de l’intelligentsia, de la classe, des
employés et des républicains bourgeois. Il ne faut donc pas s’étonner de ce
que le nombre de membres du PSUC ait remarquablement augmente pendant ces
premiers mois. Mais ce chiffre était complètement
privé de contenu révolutionnaire.
Une
autre étapé franchie par les communistes fut de profiter de la scission dans
le Syndicat UGT dominé par les socialistes. Leur projet fut facilité par la
fusion du Mouvement des Jeunesses Socialistes (200 000 membres selon Brenan)
avec les Jeunesses Communistes numériquement plus faibles, amenant la formation
de la JSU (Jeunesse Socialiste Unifiée).
Mais
bien entendu, avant de pouvoir imposer leur politique et leur tactique réactionnaire
aux travailleurs révolutionnaires, les communistes devaient s’assurer de
l’appui russe. L’adhésion de la Russie au pacte de nonintervention, de même
que l’activité contrerévolutionnaire des communistes espagnols (opposition
à l’expropriation des propriétés terriennes et des usines par les
travailleurs, et à la création des milices ouvrières; aide au gouvernement
pour rétablir son autorité, et appui pour la formation d’une force régulière
de police et de gendarmerie) ne renforcèrent certes pas l’influence
communiste parmi les travailleurs.
L’intervention
russe en Espagne, quand elle eut lieu, ne fut pas dictée par des motifs révolutionnaires
ou par l’amour de Staline pour le peuple espagnol, mais par le besoin de
renforcer la position de la Russie dans la politique internationale. Selon le général
Krivitsky, qui prétendait être «le seul survivant à l’étranger du groupe
de fonctionnaires soviétiques qui organisèrent cette intervention»
(«Agent de Staline», Paris 1940, p. 98-99). Jusqu’à l’arrivée de
Hitler au pouvoir en 1933, «Staline eut une politique étrangère inquiète. Il
avait la terreur d’être isolé». C’est seulement quand il fut sûr que
Franco n’aurait pas une victoire «facile et rapide», qu’il se décida à
intervenir en Espagne.
«il
avait l’idée — partagée par son entourage — d’amener l’Espagne dans
la sphère d’influence du Kremlin. Cette domination devait consolider ses
liens avec Paris et Londres, et d’autré part, lui permettre de faire chanter
Berlin.
«Une
fois maître de l’Espagne — d’une importance stratégique vitale pour la
France et l’Angleterre — il obtiendrait ce qu’il cherchait. Il serait une
force avec laquelle il faudrait compter, un allié désirable.»
Cela
peut sembler une explication un peu faible dans la situation d’aujourd’hui,
mais il n’gen est pas de même si l’on se rappelle que jusqu’en 1933,
«il
n’y avait pas un seul pays, à part la Russie, où les communistes aient
compte force comme force politique
21».
En
outre, selon Kryvitsky, Staline lança son intervention avec le slogan : «Restez
hors de portée du tir de l’artillerie!» En Espagne il n’y eut jamais plus
de 2000 Russes et c’était des experts et des techniciens militaires, des agitateurs
politiques et des membres du Guépéou
*,
la fameuse police secrète russe. En ce qui concerne les combats, les Russes
organisèrent les Brigades Internationales composées d’hommes de toutes les
nationalités sauf de Russes.
* Le mot est employé au masculin dans 1’éition française de Krivitsky et de Trotsky (Écrits, tome III, Paris, 1959); au féminin dans «La grande Trahison» de Hernandez.
Non
seulement la Russie veilla à ce qu’aucun soldat russe ne fût engagé, mais
elle s’assura que l’intervention serait payée d’avance, au prix de 500
tonnes d’or de la Banque d’Espagne, qui furent transportés en Russie à la
suite des accords secrets passés entre le Premier Ministre d’alors, Largo
Caballero, et le représentant russe en Espagne. Au même moment, Staline envoya
Arthur Stashevsky, pour tirer habilement les rênes politiques et financières,
et le général Berzin pour organiser et diriger l’armée. Les Russes savaient
que, pour contrôler politiquement un pays, il faut avoir en main son économie
et Stashevsky se mit immédiatement à l’œuvre, «déployant tous ses eflorts
pour mettre le contrôle des finances de la République entre les mains de
l’URSS
*».
*
Krivitsky, ouvrage cité, p. 126.
L’hostilité
des communistes envers les collectivités agricoles et industrielles avait, sans
doute, des raisons politiques, et était liée aux buts du gouvernement Negrin,
contrôlé par la Russie, qui étaient de centraliser toute la vie économique
du pays de façon à mettre les organisations ouvrières sous son contrôle.
Cela n’avait rien à voir avec les raisonnements des communistes selon
lesquels la terre, étant collectivisée par la force et l’industrie, ne
travaillait pas dans l’intérêt de la lutte armée.
Les
Russes s’occupèrent aussi de faire en sorte que les Brigades Internationales
fussent sous leur contrôle et réussirent, quelques mois seulement après leur
intervention dans les questions espagnoles, à s’assurer 90% de tous les
postes importants du Ministère de Guerre espagnol, et que la majeure partie des
Commissaires politiques de l’armée républicaine fussent des membres résolus
du PC.
La
lutte héroïque du peuple espagnol en juillet 36 avait agi comme un puissant
aimant et amené des centaines de militants antifascistes, exilés d’Italie et
d’Allemagne, de même que des révolutionnaires anticommunistes de toutes les
parties du monde, à s’unir dans la résistance contre Franco. (Ils ne firent
pas partie des Brigades Internationales, organisées par le PC et dont les
membres étaient bien contrôlés, et n’arrivèrent en Espagne seulement que
fin 36.) Avec l’intervention russe, Staline transféra en Espagne, non
seulement des experts militaires et économiques, mais aussi la police secrète.
Le plan communiste était de liquider les oppositions individuelles (spécialement
des excommunistes qui «savaient trop de choses» ) et de détruire le mouvement
révolutionnaire en Espagne qui s’était érigé en formidable barrage contre
toute tentative d’hégémonie politique du PC.
«En
Catalogne, déclare la Pravda le 16 décembre 1936, l’élimination des
trotskystes et des anarcho-syndicalistes est commencée; elle sera menée avec
la même énergie qu’en URSS
*.»
*
La citation est fausse, voir Mintz L’Autogestion dans l’Espagne révolutionnaire,
p. 129 (N. d. T.).
Et
dans ce but, les communistes instituèrent la terreur organisée. Eux qui
protestaient à grands cris contre «les éléments incontrôlés», créèrent
leurs propres prisons et des chambres de torture qu’ils appelaient «préventives».
A personne, même avee l’autorisation du Ministre de la Justice, il n’était
permis de visiter ces prisons. John Mac Govern, à l’époque député du Parti
Indépendant Travailliste, vint en Espagne en novembre 1937, comme membre
d’une délégation dont faisait partie le professeur Félicien Challaye du
Comité Central de la Ligue des Droits de l’Homme, pour rendre visite aux
membres du POUM, qui avaient été emprisonnés sans jugement comme «agents de
Franco», sous l’instigation des communistes. Dans une brochure publiée à
son retour
32, il décrit sa
visite aux différentes prisons mais observe que, bien qu’il fût muni d’un
laissez-passer du Directeur des Prisons et du Ministre de la Justice pour
visiter la prison Calle Vallmajor (une des «préventives» communistes),
l’entrée lui en avait été refusée, le fonctionnaire objectant «qu’il
n’acceptait pas d’ordres du directeur des prisons ou du Ministre de la
Justice parce qu’ils n’étaient pas ses supérieurs». «Nous lui avons
demandé qui était son chef et il nous a donné une adresse au Quartier Général
de la Tchéka». Au Quartier Général, le laissez-passer fut de nouveau refusé
et l’intervention personnelle du Ministre de la Justice Irujo, n’obtint pas
non plus de résultat. Et Mac Govern conclut:
«Le
masque était tombé. Ils avaient ôté le voile et montré où était réellement
le pouvoir. Les ministres voulaient, mais étaient impuissants. La Tchéka ne
voulait pas et avait le pouvoir. Nous nous rendîmes compte que si nous avions
insisté davantage, nous aurions été nous-même en danger».
La
CNT avait dénoncé l’existence de ces prisons secrétes depuis quelques mois.
Le 25 mars 1937, 16 membres de la CNT avaient été assassinés par les
communistes, à Villanueva de Alcardete. A la demande de sanctions contre les
auteurs du délit, «Mundo Obrero», porteparole communiste, répondit en
justifiant les assassins. Des enquêtes judiciaires successives avaient confirmé
qu’un gang complètement communiste, comprenant les principaux coupables de
Villanueva et Villamajor, avait opéré pour le «Comité de Défense»,
assassinant des ennemis politiques, saccageant, imposant des rançons et violant
de nombreuses femmes. Cinq communistes furent condamnés à mort. En avril de la
même anneée, la CNT révéla, avec preuves à l’appui, l’existence d’une
prison secrète à Murcie, malgré les efforts de la police secre pour cacher
les détails en saisissant l’édition du journal de l’organisation, «Cartagena
Nueva», qui publiait le récit d’un ouvrier, qui avait été retenu dans
cette prison comme suspect *. Parmi les
personnes citées, il y avait des officiers de police et des membres espagnols
du Guépéou.
*
Réimprimé dans la CNT en la Revolucion Espanola, Vol. II».
Il
est impossible, faute de place,
d’exposer en détail les centaines de cas de terrorisme communiste qui eurent
lieu après l’intervention de Staline dans le destin de l’Espagne
33.
La propagande des communistes et des journalistes sympathisants a si bien réussi
à convaincre l’opinion libérale et progressiste des démocraties, que
ceux-ci, aidés par Staline, le seul ami auquel le peuple espagnol puisse
recourir pour l’aider, étaient l’avant-garde de la lutte armée contre
Franco, que les voix des groupes révolutionnaires qui s’adressaient aux
travailleurs du monde pour sauver la vie des victimes de Staline en Espagne, ne
furent pas écoutées. Et quand, en mai 1937, dans les rues de Barcelone, eut
lieu la lutte fratricide provoquée par les communistes, dans laquelle une
centaine de travailleurs perdirent la vie, suivie en juin par les attaques armées
à grande échelle contre les collectivités agricoles d’Aragon, les
communistes furent salués comme les sauveurs de la loi et de l’ordre contre
les incontrôlables terroristes anarchistes qui cherehaient à s’emparer du
pouvoir à Barcelone, et contraignaient les paysans à collectiviser leurs
terres sous la menace des baïonnettes anarchistes! Il n’y a pas qu’Hitler
à s’être servi de grands mensonges avec d’autant plus de chances d’être
cru.
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