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CHAPITRE XI

 

LES COMMUNISTES

AVANT-GARDE

DE LA CONTRE-RÉVOLUTION

 

En considérant les communistes comme l’avant-garde de la contrerévolution en Espagne, nous ne voulons en aucune façon minimiser la responsabilité que partagèrent avec eux les socialistes et les autres partis «antifascistes». Leur action ne fut pas diminuée, peut-on dire, par la politique souvent contrerévolutionnaire des chefs de la CNT-FAI. Nous nous proposons de traiter du rôle des communistes dans le but de détruire le mythe, difficile à tuer, du rôle important joué par le PC dans la lutte contre Franco, mythe qui a été amplement diffusé par des millions de livres et de brochures, publiés à cette époque chargée d’événements et même plus tard, soit par les communistes eux-mêmes, soit par des écrivains qui étaient à l’époque leurs compagnons de route. Ceux-ci furent complètement trompés par leg récits de «1’efficience» communiste, de l’aide «désintéressée» donnée à l’Espagne par la Russie et, en dernier lieu, mais non pas le moindre, de la tactique de Front Populaire du PC. Ceci pourra peut-être expliquer aussi comment un parti insignifiant par son influence et par son nombre fut en mesure de jouer le rôle dominant qu’eut le PC en Espagne, non pour l’unité et la victoire sur Franco, mais comme artisan de la désunion, de la contrerévolution et de la défaite.

Les observateurs non communistes sont d’accord sur le chiffre de 3 000 membres du PC espagnol avant les élections de février 1936 et les renseignements de source procommunistes même n’admettent qu’un nombre 10 fois plus éleve *. Reste le fait que pendant les quinze ans de leur existence comme Parti, les communistes n’ont pas réussi à se faire une escorte consistante parmi les classes travailleuses, sauf à Seville et dans les Asturies. Jusqu’en 1934 ils suivirent fidèlement les lignes d’action du Komintern et leur politique fut donc d’extrême gauche et d’opposition à tout compromis avec l’État bourgeois. Mais à l’époque de la signature du pacte franco-russe, le Komintern abandonna sa tactique d’extrémiste de gauche pour appuyer le Front Populaire et s’infiltrer dans les partis bourgeois déjà méprisés. Le programme du Front Populaire en Espagne était de nature si douce que même la proposition socialiste de nationalisation des terres fut écartée parce que les républicains ne pouvaient 1’accepter. Mais cela, ne troubla pas les communistes dont l’habileté à changer de politique sans le moindre scrupule nous est déjà trop familière. Moscou, à cette époque, avait hâte de prouver aux puissances occidentales qu’il avait cessé d’être révolutionnaire pour devenir un allié désirable. Cette orientation de la politique extérieure russe explique l’orientation à droite du PC, autant en Espagne que dans les autres pays, et la répugnance avec laquelle la Russie participa à la lutte armée espagnole. Ce n’e’tait pas la première fois que les leaders russes étaient prêts à sacrifier leurs positions révolutionnaires, y compris celles où ètaient engagés leurs propres satellites, quand ces luttes étaient en contradiction avec la politique extérieure russe.

* Le parti communiste avait «à peine 800 militants en 1931» (Historia del Partido comunista de Espana, p. 68) (N. d. T.).

Aux élections de février 1936 qui furent une victoire du Front Populaire, les communistes obtinrent 16 sièges parlementaires, contre uu seul: obtenu au parlement précédent, augmentation en complète disproportion avec celle de leurs effectifs. Dans les mois qui précédèrent la révolte de Franco, les communistes avaient cherché par tous les moyens à augmenter leur nombre parce qu’èvidemment tant que celui-ci resterait de 3 000 (ou même de 30 000) tout espoir d’imposer leur dictature ètait vouè à l’echec. Bien qu’ils aient prêché l’unité des classes travailleuses comme base de l’émancipation ouvrière, leur rôle dans cette lutte a toujours été de diviser les travailleurs 30. Le lecteur se rappellera une citation du «Labyrinthe Espagnol» rapportée au début de cette étude, et dans laquelle on observait que, dans les zones où les anarchistes étant les plus forts, le mouvement socialiste était plus réactionnaire, tandis que, là où les anarchistes étaient en minorité, ils éussissaient par leur action de militants à entraîner les socialistes vers la gauche. Il était naturel donc pour les communistes, après avoir renié leur propre intransigeance à l’égard de la démocratie bourgeoise et du mouvement de Front Populaire, de chercher à s’infiltrer dans les rangs socialistes dans des zones où les anarchistes étaient les plus forts. Et en effet, leur premier succès eut lieu en Catalogne. Là, les faibles socialistes, dirigés par une des plus sinistres figures du socialisme espagnol, Juan Comorera y Soler,

«étaient orientés à droite plus que toute autre section socialiste espagnole. A Barcelone, où le mouvernent ouvrier était anarchiste, ils eurent pour but principal de combattre l’anarchisme *».

* F. Borkenau «The Communist International», Londres, 1938.

Seulement quatre jours après le soulèvement de Franco, les communistes fusionnèrent avec les socialistes catalans pour former le PSUC (Parti Socialiste Unifié Catalan). Ce fut le premier exemple d’un parti socialiste fusionné avec les communistes, et ce fut un mouvement favorable aux communistes qui, à l’époque, n’avaient pas plus de 200 membres dans toute la Catalogne. L’étape suivante consista pour eux à se gagner l’appui des autres adversaires des anarchistes tels que les boutiquiers, une partie de l’intelligentsia, de la classe, des employés et des républicains bourgeois. Il ne faut donc pas s’étonner de ce que le nombre de membres du PSUC ait remarquablement augmente pendant ces premiers mois. Mais ce chiffre était complètement  privé de contenu révolutionnaire.

Une autre étapé franchie par les communistes fut de profiter de la scission dans le Syndicat UGT dominé par les socialistes. Leur projet fut facilité par la fusion du Mouvement des Jeunesses Socialistes (200 000 membres selon Brenan) avec les Jeunesses Communistes numériquement plus faibles, amenant la formation de la JSU (Jeunesse Socialiste Unifiée).

Mais bien entendu, avant de pouvoir imposer leur politique et leur tactique réactionnaire aux travailleurs révolutionnaires, les communistes devaient s’assurer de l’appui russe. L’adhésion de la Russie au pacte de nonintervention, de même que l’activité contrerévolutionnaire des communistes espagnols (opposition à l’expropriation des propriétés terriennes et des usines par les travailleurs, et à la création des milices ouvrières; aide au gouvernement pour rétablir son autorité, et appui pour la formation d’une force régulière de police et de gendarmerie) ne renforcèrent certes pas l’influence communiste parmi les travailleurs.

L’intervention russe en Espagne, quand elle eut lieu, ne fut pas dictée par des motifs révolutionnaires ou par l’amour de Staline pour le peuple espagnol, mais par le besoin de renforcer la position de la Russie dans la politique internationale. Selon le général Krivitsky, qui prétendait être «le seul survivant à l’étranger du groupe de fonctionnaires soviétiques qui organisèrent cette intervention»  («Agent de Staline», Paris 1940, p. 98-99). Jusqu’à l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, «Staline eut une politique étrangère inquiète. Il avait la terreur d’être isolé». C’est seulement quand il fut sûr que Franco n’aurait pas une victoire «facile et rapide», qu’il se décida à intervenir en Espagne.

«il avait l’idée — partagée par son entourage — d’amener l’Espagne dans la sphère d’influence du Kremlin. Cette domination devait consolider ses liens avec Paris et Londres, et d’autré part, lui permettre de faire chanter Berlin.

«Une fois maître de l’Espagne — d’une importance stratégique vitale pour la France et l’Angleterre — il obtiendrait ce qu’il cherchait. Il serait une force avec laquelle il faudrait compter, un allié désirable.»

Cela peut sembler une explication un peu faible dans la situation d’aujourd’hui, mais il n’gen est pas de même si l’on se rappelle que jusqu’en 1933,

«il n’y avait pas un seul pays, à part la Russie, où les communistes aient compte force comme force politique 21».

En outre, selon Kryvitsky, Staline lança son intervention avec le slogan : «Restez hors de portée du tir de l’artillerie!» En Espagne il n’y eut jamais plus de 2000 Russes et c’était des experts et des techniciens militaires, des agitateurs politiques et des membres du Guépéou *, la fameuse police secrète russe. En ce qui concerne les combats, les Russes organisèrent les Brigades Internationales composées d’hommes de toutes les nationalités sauf de Russes.

* Le mot est employé au masculin dans 1’éition française de Krivitsky et de Trotsky (Écrits, tome III, Paris, 1959); au féminin dans «La grande Trahison»  de Hernandez.

Non seulement la Russie veilla à ce qu’aucun soldat russe ne fût engagé, mais elle s’assura que l’intervention serait payée d’avance, au prix de 500 tonnes d’or de la Banque d’Espagne, qui furent transportés en Russie à la suite des accords secrets passés entre le Premier Ministre d’alors, Largo Caballero, et le représentant russe en Espagne. Au même moment, Staline envoya Arthur Stashevsky, pour tirer habilement les rênes politiques et financières, et le général Berzin pour organiser et diriger l’armée. Les Russes savaient que, pour contrôler politiquement un pays, il faut avoir en main son économie et Stashevsky se mit immédiatement à l’œuvre, «déployant tous ses eflorts pour mettre le contrôle des finances de la République entre les mains de l’URSS *».

* Krivitsky, ouvrage cité, p. 126.

L’hostilité des communistes envers les collectivités agricoles et industrielles avait, sans doute, des raisons politiques, et était liée aux buts du gouvernement Negrin, contrôlé par la Russie, qui étaient de centraliser toute la vie économique du pays de façon à mettre les organisations ouvrières sous son contrôle. Cela n’avait rien à voir avec les raisonnements des communistes selon lesquels la terre, étant collectivisée par la force et l’industrie, ne travaillait pas dans l’intérêt de la lutte armée.

Les Russes s’occupèrent aussi de faire en sorte que les Brigades Internationales fussent sous leur contrôle et réussirent, quelques mois seulement après leur intervention dans les questions espagnoles, à s’assurer 90% de tous les postes importants du Ministère de Guerre espagnol, et que la majeure partie des Commissaires politiques de l’armée républicaine fussent des membres résolus du PC.

La lutte héroïque du peuple espagnol en juillet 36 avait agi comme un puissant aimant et amené des centaines de militants antifascistes, exilés d’Italie et d’Allemagne, de même que des révolutionnaires anticommunistes de toutes les parties du monde, à s’unir dans la résistance contre Franco. (Ils ne firent pas partie des Brigades Internationales, organisées par le PC et dont les membres étaient bien contrôlés, et n’arrivèrent en Espagne seulement que fin 36.) Avec l’intervention russe, Staline transféra en Espagne, non seulement des experts militaires et économiques, mais aussi la police secrète. Le plan communiste était de liquider les oppositions individuelles (spécialement des excommunistes qui «savaient trop de choses» ) et de détruire le mouvement révolutionnaire en Espagne qui s’était érigé en formidable barrage contre toute tentative d’hégémonie politique du PC.

«En Catalogne, déclare la Pravda le 16 décembre 1936, l’élimination des trotskystes et des anarcho-syndicalistes est commencée; elle sera menée avec la même énergie qu’en URSS *

* La citation est fausse, voir Mintz L’Autogestion dans l’Espagne révolutionnaire, p. 129 (N. d. T.).

Et dans ce but, les communistes instituèrent la terreur organisée. Eux qui protestaient à grands cris contre «les éléments incontrôlés», créèrent leurs propres prisons et des chambres de torture qu’ils appelaient «préventives». A personne, même avee l’autorisation du Ministre de la Justice, il n’était permis de visiter ces prisons. John Mac Govern, à l’époque député du Parti Indépendant Travailliste, vint en Espagne en novembre 1937, comme membre d’une délégation dont faisait partie le professeur Félicien Challaye du Comité Central de la Ligue des Droits de l’Homme, pour rendre visite aux membres du POUM, qui avaient été emprisonnés sans jugement comme «agents de Franco», sous l’instigation des communistes. Dans une brochure publiée à son retour 32, il décrit sa visite aux différentes prisons mais observe que, bien qu’il fût muni d’un laissez-passer du Directeur des Prisons et du Ministre de la Justice pour visiter la prison Calle Vallmajor (une des «préventives» communistes), l’entrée lui en avait été refusée, le fonctionnaire objectant «qu’il n’acceptait pas d’ordres du directeur des prisons ou du Ministre de la Justice parce qu’ils n’étaient pas ses supérieurs». «Nous lui avons demandé qui était son chef et il nous a donné une adresse au Quartier Général de la Tchéka». Au Quartier Général, le laissez-passer fut de nouveau refusé et l’intervention personnelle du Ministre de la Justice Irujo, n’obtint pas non plus de résultat. Et Mac Govern conclut:

«Le masque était tombé. Ils avaient ôté le voile et montré où était réellement le pouvoir. Les ministres voulaient, mais étaient impuissants. La Tchéka ne voulait pas et avait le pouvoir. Nous nous rendîmes compte que si nous avions insisté davantage, nous aurions été nous-même en danger».

La CNT avait dénoncé l’existence de ces prisons secrétes depuis quelques mois. Le 25 mars 1937, 16 membres de la CNT avaient été assassinés par les communistes, à Villanueva de Alcardete. A la demande de sanctions contre les auteurs du délit, «Mundo Obrero», porteparole communiste, répondit en justifiant les assassins. Des enquêtes judiciaires successives avaient confirmé qu’un gang complètement communiste, comprenant les principaux coupables de Villanueva et Villamajor, avait opéré pour le «Comité de Défense», assassinant des ennemis politiques, saccageant, imposant des rançons et violant de nombreuses femmes. Cinq communistes furent condamnés à mort. En avril de la même anneée, la CNT révéla, avec preuves à l’appui, l’existence d’une prison secrète à Murcie, malgré les efforts de la police secre pour cacher les détails en saisissant l’édition du journal de l’organisation, «Cartagena Nueva», qui publiait le récit d’un ouvrier, qui avait été retenu dans cette prison comme suspect *. Parmi les personnes citées, il y avait des officiers de police et des membres espagnols du Guépéou.

* Réimprimé dans la CNT en la Revolucion Espanola, Vol. II».

Il est impossible, faute de place, d’exposer en détail les centaines de cas de terrorisme communiste qui eurent lieu après l’intervention de Staline dans le destin de l’Espagne 33. La propagande des communistes et des journalistes sympathisants a si bien réussi à convaincre l’opinion libérale et progressiste des démocraties, que ceux-ci, aidés par Staline, le seul ami auquel le peuple espagnol puisse recourir pour l’aider, étaient l’avant-garde de la lutte armée contre Franco, que les voix des groupes révolutionnaires qui s’adressaient aux travailleurs du monde pour sauver la vie des victimes de Staline en Espagne, ne furent pas écoutées. Et quand, en mai 1937, dans les rues de Barcelone, eut lieu la lutte fratricide provoquée par les communistes, dans laquelle une centaine de travailleurs perdirent la vie, suivie en juin par les attaques armées à grande échelle contre les collectivités agricoles d’Aragon, les communistes furent salués comme les sauveurs de la loi et de l’ordre contre les incontrôlables terroristes anarchistes qui cherehaient à s’emparer du pouvoir à Barcelone, et contraignaient les paysans à collectiviser leurs terres sous la menace des baïonnettes anarchistes! Il n’y a pas qu’Hitler à s’être servi de grands mensonges avec d’autant plus de chances d’être cru.


 

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