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CHAPITRE VI

 

LA CNT PARTICIPE

AUX GOUVERNEMENTS

CATALAN ET CENTRAL

 

La Révolution sociale et la lutte armée contre Franco ne souffrirent jamais du manque d’hommes ou d’esprit de sacrifice et de décision pour vaincre et reconstruire une Espagne fondée sur de nouvelles conceptions de liberté et d’égalité. Ce qui manquait aux travailleurs espagnols c’étaient les armes, en quantité comme en qualité, les matières premières pour les industries, les fertilisants et les outillages modernes pour l’agriculture, les vivres et, enfin, l’expérience, soit pour organiser la nouvelle économie, soit pour combattre dans une lutte armée prolongée. Mais ce furent seulement les chefs politiques et certains des membres les plus représentatifs des organisations ouvrières qui s’alarmèrent de la situation jusqu’à chercher refuge, ne sachant de quel côté aller, dans les institutions de l’État. Les travailleurs, au contraire, avec leur bon sens naturel, affrontèrent la situation avec les matériaux disponibles et les connaissances qu’ils avaient.

Leur système de gestion des services publics et de distribution des vivres peut avoir été chaotique, mais aucun critique n’a encore dit que quelqu’un mourut de faim; leur défense improvisée de Barcelone, Madrid, Valence, peut avoir été désorganisée, mais malgré tout cela, ils vainquirent les formations militaires bien organisées et bien armées qui le 19 juillet s’étaient crues maîtres de toute l’Espagne; leurs colonnes (mal) armées n’ont sans doute pas occupé Saragosse et d’autres villes stratégiques, mais néanmoins elles continrent les forces ennemies durant de nombreuses semaines. Elles parurent avoir été chaotiques, mais, comme l’exprima brièvement un soldat de profession (le colonel Jiménez de la Beraza), quand on lui demanda ce qu’il pensait de ces colonnes improvisées :

«Du point de vue militaire, c’est un chaos ; mais c’est un chaos qui fonctionne. Ne le dérangez pas ! » (cité par Santillan dans « Por qué perdimos la guerra » page 65).

Pour prévenir la critique, nous pourrions dire que nous sommes pleinement conscients des désavantages de ce «chaos» ; du fait, comme, dit Garcia Oliver, que les transports étaient sichaotiques que quelquefois les miliciens au front restaient quatre jours sans vivres ; qu’on n’avait organisé aucun service sanitaire pour soigner les miliciens blessés ; et aussi du cas extrême de ces combattants versés à la défense de Madrid, qui à sept heures du soir abandonnaient leur poste sur la ligne du front pour rencontrer leurs fiancées en ville ! Nous avons seulement dit que les travailleurs espagnols furent capables dans une situation qui avait paralysé le gouvernement (sauf son habileté à publier les décrets inutiles et insolents dans la «Gazeta») et les politiciens, d’improviser et d’organiser au-delà de toute espérance. Et si par la suite la résistance aux armées de Franco fut possible, ce fut grâce à ce glorieux «chaos» des premières semaines de combat.

Il nous semble que le rôle des anarchistes était de chercher soutenir cette vaste masse de bonne volonté et d’énergie, et d’œuvrer pour sa consolidation et sa coordination, en éclairant les problèmes pour leurs camarades travailleurs, en suggérant des solutions, et toujours en défendant l’idée que tout le pouvoir et chaque initiative devait rester aux mains des travailleurs eux-mêmes. Et non seulement des travailleurs de la CNT, mais aussi de ceux de l’UGT qui, déçus par les «gouvernements socialistes» qui ne se sont pas montrés différentsdes autres, auraient prêté plus d’attention à de tels arguments qu’aux conseils faibles et timorés de la majeure partie de leurs chefs.

« Sans désordre la Révolution est impossible »

écrit Kropotkine*.Au contraire, beaucoup de membres des organisations révolutionnaires étaient tellement préoccupés par la lutte contre Franco que, dès les premiers moments, leurs exhortations aux ouvriers furent des appels à l’ordre, au retour au travail, à l’augmentation des heures de travail, pour satisfaire les exigences de la lutte armée. Cette attitude peut se résumer en deux phrases contenues dans un article de Juan Peiro où il s’oppose à l’idée de réduire la journée de travail des ouvriers dans les usines catalanes :

* D’une lettre à un ami pendant la révolution russe. Rapportée par Woodcoch Avakoumovitch dans «Pierre Kropotkine, le prince anarchiste» (Paris, 1953).

 

«La fameuse phrase de Napoléon est trop souvent oubliée. La guerre et ses succès dépendent toujours de l’argent parce que de tout temps les guerres se sont appuyées sur une base économique.»

(Peirats, I, 204.)

Comme cela était vrai dans le cas de l’Espagne en août 1936 ! Mais au lieu de dire aux travailleurs qu’avant toute autre chose ils auraient dû s’assurer que  les banques et la réserve d’or fussent entre leurs mains, il exhortait les travailleurs de l’arrière à augmenter toujours davantage le nombre d’heures de travail dans le but de produire plus ! Ce n’est pas qu’il ne disait pas une vérité. Mais il était vrai aussi que celui qui contrôlait la réserve d’or aurait contrôlé la direction de la guerre et de l’économie espagnole.

Dans ces premiers jours de« lutte le besoin d’armés et de matières premières était urgent. Et pour fabriquer les armes, les ouvriers catalans avaient besoin d’usines adaptées à ce but ; les machines devaient être achetées à l’étranger avec de l’or, et on devait acheter aussi avec de l’or les avions, le matériel de transport, les fusils, les canons et les munitions, et également avec de l’or on pouvait obtenir des armes allemandes et italiennes. La réserve d’or était le moyen qui aurait permis aux travailleurs armés de passer de la défensive à l’ettaque. Car s’il est vrai qu’ils n’étaient pas entraînés comme il convenait et que les milices manquaient de coordination, toutefois sans armes et transports suffisants cesproblèmes restaient de peu d’importance.

Pour augmenter la confusion en matière financière, il y avait la rivalité entre le Gouvenement de Catalogne et de Madrid, une rivalité qui ignorait l’ennemi commun et dans laquelle le Gouvernement de Madrid avait l’avantage parce qu’il détenait le contrôle de l’or. Avantage dont il usa pour chercher à étouffer la révolution en Catalogne et à saboter le front d’Aragon. et la campagne pour les îles Baléares, qui furent des initiatives prises par la CNT. D’après Santillan, la même attitude prévalut quand Caballero succéda au gouvernement Giral en septembre 1936.

Observons plus en détail les dommages provenant du fait que l’or restait en de mauvaises mains.

Le 24 septembre 1936 se tint à Barcelone un Plénum régional des Syndicats où étaient présents 505 délégués, représentant 327 syndiéats. Ace plénum, Juan P. Fabregas, délégué de la CNT au Conseil Économique, après avoir montré l’activité des syndicats, parla de difficultés financières de la Catalogne découlant du refus du Gouvernement de Madrid de

«donner une aide quelconque dans les questions économiques et financières, sûrement parce qu’il na pas beaucoup de sympathie pour l’oeuvre d’ordre pratique qui se fait en Catalogne... Il y a eu un changement de gouvernement, mais nous continuons à rencontrer les mêmes difficultés».

(Peirats, I, 214.)

Fabregas poursuivit en déclarant qu’une Commission s’était rendue à Madrid demander des crédits pour l’acquisition de matériel de guerre et de matières premières, offrant en  garantie un milliard de pesetas en titres déposées à la Banque d’Espagne, et avait reçu un net refus. Il suffisait que la nouvelle industrie de guerre en Catalogne soit contrôlée par les travailleurs de la CNT pour que le Gouvernement de Madrid refusât toute aide inconditionnée. Il aurait consenti l’assistance financière seulement en échange du contrôle gouvernemental.

Ce que signifiait en termes de production d’armes ce sabotage évident du gouvernement, est révélé par un compte rendu des conversations tenues le ler septembre 1937 entre Eugenio Vallejo, reprèsentant de l’industrie de guerrecatalane contrôlée par la CNT et le SousSecrétaire aux Armes et Munitions du Gouvernement central, au cours desquelles ce dernier admit, devant témoins, que:

«l’industrie de guerre: catalane avait produit dix fois plus que tout le reste de l’industrie espagnole et convint avec Vallejo que cette moyenne de production aurait pu être quadruplée depuis le début de septembre si la Catalogne avait pu disposer des moyens nécessaires pour acquérir les matières premières existant sur le territoire espagnol 19 ».

Mais revenons à septembre 1936. Le plénum régional des Syndicats termina ses délibérations le 26 septembre. Le lendemain, la presse annonça l’entrée de la CNT dans le gouvernement catalan. Dans un communiqué de presse, la CNT nia que ce fût au gouvernement et précisa avoir participé à un Conseil Régional de Défense ! Qui prit cette décision ? Ni Peirats, ni Santillan n’en donnent d’explications. Il n’y a pas non plus d’indications que la question ait été discutée au Plénum Régional. Vers le 20 septembre cependant, après la formation du Gouvernement Caballero, un Plénum National des Comités Régionaux se réunit, présidé par le Comité National de la CNT dans le but de chercher une formule par laquelle en sauvant la face, la «collaboration» devint possible.

Il fut décidé qu’on aurait dû constituer un «Conseil National de Défense» et qu’on aurait dû transformer les ministères existants en Départements. Plusieurs décisions relatives aux milices, aux banques, à la propriété de l’Église, etc... sont incluses dans cette déli‘bération. Mais le document n’a qu’une importance relative, car le terme Conseil National de Défense fut employé pour rendre moins terrible aux oreilles de la CNT le son du mot «gouvernement». Ce fut bien compris des partis politiques, qui ne prirent pas en considération les propositions et virent le bluff de la CNT de telle sorte que, deux jours plus tard, le plénum fut de nouveau réuni, et la CNT ne put que regretter le rejet de ses propositions. A la fin de ce document, cependant, il est implicite que la formation du Conseil Régional de Défense (comme le gouvernement catalan avec la participation de la CNT fut défini par euphémisme) fut le résultat du plénum précédent, et il est ajouté que la préparation d’un Conseil National de Défense devait être poursuivie. Mais comme le Conseil Régional de Défense était le gouvernement de Catalogne, il n’est point surprenant qu’en novembre la CNT capitule et que quatre de ses membrés fassent partie du gouvernement Caballero à Madrid.

La formation d’un gouvernement en Catalogne avec la participation de la CNT mit fin au dualisme de pouvoir entre le Comité des Milices Antifascistes et le Gouvernement de la Généralité par l’élimination du Comité des Milices. Malgré tout ses défauts, le Comité représentait mieux que le Goluvernement, les aspirations révolutionnaires. Et il n’avait pas de pouvoir exécutif pour  imposer ses décisions. Il est à peine nécessaire d’ajouter que, dans le nouveau Gouvernement, les organisations ouvrières étaien en minorité et les partis politiques en msjorité. Et ainsi, à peine eux mois après que l’humble Companys du 20 juillet ait offert «de devenir un autre soldat dans la lutte» si la CNT l’avait désiré, il avait maintenant dans les mains les rénes du pouvoir politique. Il fallait savoir s’il réussirait aussi à se servir de la cravache !

De quelle façon la lutte contre Franco fut-elle améliorée par ce changement ? Santillan nous donne cette explication:

«S’il ne s’était agi que de la révolution, l’existence même du gouvernement aurait été non un facteur favorable, mais un obstacle à détruire; or, nous avions à faire face aux exigences d’une guerre  violente, avec des complications internationales, et nous étions liés aux marchés internationaux et aux relations avec un monde étatisé. Et pour l’organisation et la direction de cette guerre, dans les conditions où nous nous trouvions, nous ne disposions pas de l’organisme qui aurait pu remplacer le vieil appareil gouvernemental.»                         (p. 113)

Santillan poursuit en remarquant qu’«une guerre moderne» demande une industrie de guerre complexe, ce qui suppose, pour des pays non totalement autonome, des relations politiques, industrielles et commerciales avec les centres du capitalisme mondial qui possèdent le monopole des matières premières. Et les pays étrangers étaient hostiles à la révolution et pouvaient refuser de fournir les matières premières s’il n’y avait eu une apparence de gouvernement.

La dissolution du Comité des Milices ne fut pas le dernier sacrifice fait pour

«démontrer notre bonne foi et notre désir dominant de gagner la guerre. Mais plus nous avions cédé à l’intérêt commun, plus nous nous étions trouvés devant des obstacles de la contrerévolution personnifiée par le pouvoir central».

Avec quels résultats ? demande Santillan :

«certainement pas à l’avantage de la guerre ou du moins pas à l’avantage de 1a victoire sur l’ennemi».

Pendant ce temps, Moscou était entré dans le conflit et le monopole des Communistes qui en Catalogne 20 avaient commencé à absorber les  différents groupes socialistes en un parti unique, le PSUC (Parti Socialiste Unifié de Catalogne) s’était enhardi grâce au contrôlé grandissant exercé  par les agents par les agents et les techniciens russes dans tous les départements d’État. Moscou avait l’intention de détruire la Catalogne révolutionnaire, soit en coupant le ravitaillement en armes, soit par un assaut direct. Mais les temps n’étaient pas encore mûrs et il n’est donc pas surprenant que le 25 octobre 1936 les communistes soient prêts à signer un pacte d’Unité d’Action avec la CNT, la FAI, l’UGT et le PSUC. Le pacte était un nouveau pas fait vers la centralisation complète du pouvoir dans les mains du Gouvernement catalan. Les clauses de l’accord comprenaient la collectivisation des moyens de production et l’expropriation sans compensation, mais avec la clause :

«Nous sommes d’accord pour dire que cette collectivisation ne donnerait pas les résultats espérés si elle n’était pas dirigée et coordonnée par un organisme vraiment représentatif de la collectivité, qui, dans ce cas, ne peut être que le Conseil de la Généralité où sont représentées les forces sociales.»                        

 (Peirats, I, 225.)

Accord également sur la municipalisation des logements et sur la fixation par des organes municipaux des prix maximaux des loyers. Accord sur un commandement unique pour coordonner l’action de toutes les forces combattantes, sur la création des milices obligatoires transformées en une vaste armée populaire et sur le renforcement de la discipline. Accord sur la nationalisation des banques et sur le contrôle ouvrier, par les commissions des employés, de toutes les opérations bancaires effectuées par la Chancellerie Financière du Conseil de la Généralité. Accord sur une

«action commune pour liquider les activités nuisibles de groupes incontrôlables qui, par    manque de compréhension ou malhonnêteté, mettent en danger l’application de ce programme».

(Peirats, I, 227.)

Deux jours après, une grande assemblée publique fut tenue pour célébrer cette nouvelle victoire de la contre-révolution. Parmi les orateurs, il y eut le Secrétaire Régional de la CNT, Mariano Vazquez, le futur Ministre de la Santé publique, Federica Montseny et cette sinistre figure du Socialisme Catalan : Juan Comorera... et le Consul général russe à Barcelone, Antonov Ovseenko ! Le pacte d’unité ne fut pour les communistes qu’un premier pas dans leur plan pour s’emparer du pouvoir. Depuis le début, la petite bourgeoisie avait représenté un bloc incertain dans la réalisation de la révolution sociale. La CNT avait respecté leurs intérêts et maintenant les communistes s’apprétaient à conquérir ces partisans de Companys. La crise qui eut lieu en décembre 1936 dans le Gouvernement catalan eut visiblement pour cause le manque de discrétion des organisations des communistes dissidents POUM (ayant un représentant au Gouvernement) dans leur attaque contre la politique internationale de la Russie. L’occasion fut saisie par les communistes pour discréditer aussi la CNT en demandant dans leur presse pourquoi aucune offensive n’était faite sur le front d’Aragon (tenu principalement par les anarchistes) 21. Deux jours après, la crise fut «résolue» par la destitution du ministre du POUM.

Devant quel tragique bilan de défaites se trouve la CNT en Catalogne à la fin de 1936 ! Ces défaites ne tenaient pas à l’œuvre de la collectivisation dont les travailleurs avaient tiré et consolidé les premières victoires. Les défaites des travailleurs étaient dues aux succès des politiciens à transférer, l’un après l’autre, tous ces pouvoirs qui, depuis qu’ils étaient aux mains des. travailleurs, rendaient impossible au Gouvernement d’émerger de son obscurité méritée. A la fin de 1936, Companys avait littéralement le contrôle en main, mais il avait fini par payer cette victoire un prix élevé : en cédant aux communistes. Et si la CNT était restée eloignée de la lutte politique, elle aurait pu tirer avantage de cette situation. Mais elle naviguait dans un océan de compromis et était encore bien loin du port. Quoi de plus désastreux pour le mouvement révolutionnaire que des chefs assez aveugles pour dire, comme Garcia Oliver:

«Les Comités de la Milice antifasciste ont été dissous parce que maintenant la Généralité nous représente tous» ?

Pendant ce temps, à Madrid, Largo Caballero, succédant à Giral comme premier ministre, eut pour première charge celle de créer un gouvernement qui fonctionnât. Durant les semaines précédentes

« les masses avaient gravité autour des organisations des travailleurs, éblouies par leurs conquêtes révolutionnaires, ou étaient sur le  front pour combattre l’ennemi commun »

écrit Peirats, ajoutant :

«Pour sauver le gouvernement, le principe du gouvernement, il faut lui donner du prestige avec des mots d’ordre et un homme. On pouvait improviser les mots d’ordre et destituer l’homme de sa fonction une fois la situation rétablie. Ce qui est important c’est de trouver une formule qui permette la reconstruction de l’appareil étatique, afin d’en confier les rênes à un gouver    nement qui remplisse le rôle de désarmer le peuple pour le forcer à l’obéissance. En un mot, mettre la révolution dans une camisole deforce. Aussi Largo Caballero était-il l’homme providentiel. »                         (p. 207)

C’était un chef de l’UGT, syndicat dominé par les socialistes et un «extrémiste » du parti socialiste pris en considération par la CNT 22. Son premier soin sera de rendre leur prestige aux institution républicaines décadentes et    une nouvelle vie à l’État et rendre ainsi possible ce que les gouvernements précédents avaient été incapables d’obtenir : la militarisation des milices, la réorganisation des corps armés et leur contrôle par le gouvernement avec le désarmement simultané à l’arrière-garde. Le mot d’ordre ne fut pas difficile à trouver : la nécessité d’une discipline et d’un commandement unique en réponse aux défaites sur les fronts ; le besoin d’aller de l’avant et de gagner la guerre avant tout.

La réponse de la CNT au gouvernement Caballero fut le plénum national des comités régionaux réuni à la mi-septembre, où la constitution à Madrid d’un Conseil National de Défense décrit comme suit, fut proposé :

«Organisme national autorisé à assumer les fonctions de direction dans le domaine défensif et de consolidation, dans le domaine politique et économique.»                         

(Peirats, I, 209.)

Comme nous l’avons déjà remarqué ce Conseil aurait eu les pouvoirs de «créer une milice de guerre obligatoire». En d’autres termes, ce «Conseil» était un gouvernement déguisé, même en étant un gouvernement révolutionnaire.

Le 4 novembre 1936, quatre membres de la CNT entrèrent au Gouvernement Caballero: Juan Lopez et Juan Peiro comme ministres du Commerce et de l’Industrie, respectivement; Federica Montseny au Ministère de la Santé et Garcia Oliver à la Justice. Aucun de ces ministres n’a été capable de prouver que durant les six mois de sa charge la présence au Gouvernement de représentants de la CNT contribuait d’une façon quelconque à améliorer la situation militaire. Juan Lopez a fait remarquer l’impossibilité de faire quelque chose dans la sphère économique quand les portefeuilles du Commerce et de l’Industrie étaient aux mains des Syndicalistes et l’Agriculture et les Finances dans celles d’un communiste et d’un socialiste de droite. Federica Montseny a admis publiquement que la participation de la CNT au Gouvernement fut une faillite et seul Garcia Oliver est en extase, en décrivant les résultats obtenus par lui comme ministre de la Justice. Peut-être aurait-il montré moins d’enthousiasme pour ses propres découvertes révolutionnaires dans le domaine de la criminologie s’il avait eu connaissance de l’œuvre d’institutions également prudentes, mais de bonne foi, comme le Horvard League pour la réforme pénale dans l’Angleterre capitaliste 23 !

L’occupation des charges gouvernementales par la CNT fut décrite par son quotidien Solidaridad Obrera, comme

«un des faits les plus transcendants qu’enregistra l’histoire politique de notre pays.»

Et il continua, expliquant que :

« A l’heure actuelle, le gouvernement, comme instrument régulateur des organes de l’État, a cessé d’être une force d’oppression contre la classe ouvrière, de même que l’État, qui ne représente déjà plus l’organisme séparant la société en classes. Et, avec l’intervention dans ceux-ci d’éléments de la CNT, l’État et le Gouvernement cesseront d’autant plus d’opprimer le peuple.

«Les fonctions de l’État seront réduites, d’accord avec les organisations ouvrières, à régulariser la marche de la vie économique et sociale du pays. Et le gouvernement n’aura d’autre préoccupation que celle de bien conduire la guerre et coordonner l’œuvre révolutionnaire suivant un plan d’ensemble.

«Nos camarades porteront au gouvernement la volonté collective ou majoritaire des masses ouvrières, réunies au préalable en grandes assemblées générales. Ils ne se feront pas les avocats de critérium personnel, mais seulement ceux de décisions prises librement par des centaines de mille d’ouvriers organisés dans la CNT.

«Une fatalité historique pèse sur toutes les choses, et cette fatalité, la CNT l’accepte pour servir le pays, en gagnant rapidement la guerre et en empêchant toute déviation de la rèvolution populaire.»

(Peirats, I, p. 231, traduction «Pensée et Action», 1937.)

Comparons cette sottise opportuniste avec les opinions que la CNT exprimait deux mois auparavant dans le Boletin de Informacion CNT-FAI (No 31 du 3 septembre 1936) et rapportées par Solidaridad Obrera dans son éditorial que nous avons déjà cité.

Avec le titre significatif de «l’inutilité du Gouvernement», la CNT-FAI observait que :

«L’existence d’un gouvernement de front populaire, loin d’être un élément indispensable dans la lutte antifasciste, est qualitativement une vulgaire imitation de cette même lutte.

«Il est inutile de rappeler que, face au «putsch» fasciste, les Gouvernements de la Généralité et de Madrid ne firent absolument rien. L’autoritè fut utilisée seulement pour cacher les manœuvres des éléments réactionnaires et de ceux dont le Gouvernement était, consciemment ou inconsciemment, l’instrument.

« La guerre qui est faite victorieusement en Espagne est une guerre sociale ; l’action d’un pouvoir modérateur, fondée sur la stabilité et le maintien des classes, ne saura imposer une attitude définie dans cette lutte dans laquelle les fondements de l’État vacillent et où il est lui-même privé de sécurité. Il est exact donc de dire que le gouvernement de Front Populaire en Espagne n’est que le reflet d’un compromis entre la petite bourgeoisie et le capitalisme international...

«L’idée de substituer à ce gouvernement, faible défenseur du statu quo de la propriété et du capital étranger, un gouvernement fort fondé sur une idéologie et sur une organisation politique «révolutionnaire» ne servirait qu’à retarder l’insurrection révolutionnaire. La question donc n’ést pas de savoir si le marxisme s’emparera du pouvoir, ni d’autolimiter l’action populaire pour des raisons d’opportunisme politique. L’«État ouvrier» est le résultat final d’un d’une activité révolutionnaire et le commencement nouvel esclavage politique.

«La coordination des forces du front populaire, l’organisation de l’approvisionnement alimentaire par la collectivisation intensive des entreprises sont d’un intérêt vital pour atteindre nos objectifs. C’est évidemment la tâche de l’heure et cela a été obtenu jusqu’à maintenant d’une façon non gouvernementale, décentralisée, démilitarisée...

«Beaucoup de progrès restent à faire pour affronter ces nécessités. Les Syndicats de la CNT et de l’UGT pourraient faire un plus grand usage de leurs forces pour réaliser ces progrès. Un Gouvernement de coalition, au contraire, avec ses luttes politiques entre les majorités et les minorités, sa bureaucratisation fondée sur des élites choisies, et la guerre fratricide où sont plongées les fractions politiques opposées, est incapable de tirer un avantage de notre œuvre de libération en Espagne. Il conduirait à la rapide destruction de nos possibilités d’action, de notre volonté d’union et au commencement d’une débâcle imminente en face d’un ennemi encore suffisamment fort.

«Nous espérons que les travailleurs espagnols et étrangers comprendront la justesse des décisions prises en ce sens par la CNT-FAI. Discréditer l’État est l’objectif final du Socialisme. Les événements prouvent que la liquidation de l’État bourgeois, affaibli par asphyxie, est le résultat de l’expropriation économique et non nécessairement d’une orientation spontanée de la bourgeoisie «socialiste». «La Russie et l’Espagne en sont les exemples vivants »

(Peirats, I, 206-207).

Cette importante déclaration contient tous les arguments que nous aurions voulu exposer afin de démontrer que la collaboration avec les gouvernements et les partis politiques fut une erreur à tous points de vue : ceux de la révolution sociale et de la lutte armée, de la tactique révolutionnaire et des principes.

Malgré tout ce que les admirateurs de la collaboration peuvent dire, les événements — de l’époque du gouvernement «de guerre» de Largo Caballero au «gouvernement de la victoire» de Negrin, achevé par la reddition ignominieuse de la Catalogne et la liquidation des communistes et du gouvernement Negrin dans l’Espagne centrale avant la capitulation finale — confirment chaque détail de l’analyse contenue dans le document historique que nous avons mentionné.

Qu’est-ce qui provoqua ce brusque revirement qui amena quelques semaines plus tard la CNT-FAI à occuper des sièges ministériels; et dans quelle mesure les membres de l’organisation furent-ils responsables de cet abandon total des principes anarchistes et de la tactique rèvolutionnaire?


 

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