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CHAPITRE XIII

 

LA SIGNIFICATION RÉVOLUTIONNAIRE

DES

JOURNÉES DE MAI  

 

On n’a pas encore pu établir, semble-t-il, par des témoignages documentés si les journées de mai firent partie d’un plan soigneusement préparé ou non. Dans son livre: «Agent de Staline», le général Krivitsky soutient qu’il était au courant de l’imminence des Journées de Mai. Des rapports qu’il envoya à Moscou, nous extrayons:

«...Il était évident que le Guépéou complotait pour éliminer les éléments «incontrôlables» de Barcelone et assurer le contrôle pour le compte de Staline... Le fait est qu’en Catalogne la grande majorité des ouvriers étaient franchement antistalinien. Staline savait qu’un conflit était inévitable mais il savait aussi que les forces d’opposition étaient divisées et pouvaient être écrasées par une action énergique et rapide. Le Guépéou attisa les flammes et excita les syndicalistes, les anarchistes et les socialistes les, uns contre les autres.»

(p. 139)

Krivitsky affirme aussi que Negrin avait déjà été choisi par Moscou comme successeur de Caballero quelques mois plus tôt, et que les Journées de Mai avaient entre autres buts, celui de provoquer une crise dans le gouvernement Caballero, et de contraindre le «Lenine espagnol» à démissionner. Tout cela peut être vrai, mais aucune preuve évidente n’est apportée par exemple par Peirats * qui appuie cette thèse mais en se limitant à de longues citations de Krivitsky. Si l’attaque du Central téléphonique devait être le signal, pour les communistes et leurs alliés, de la tentative de liquider par les armes le mouvement révolutionnaire de Barcelone, il semble alors qu’elle ait été une faillite sans espoir. Rodriguez Salas et ses hommes arrivèrent à 15 heures le 3 mai. L’attaque fut stoppée et, selon Peirats:

* Peirats, II.

«...le cri d’alarme des assiégés fut entendu par les confédéraux des faubourgs et leur intervention énergique fut le début de la lutte sanglante dans les forts et sur les barricades».  

(Peirats, II, 191.)

Souchy *, dans sa relation détaillée de la lutte observe que des tractations furent commencées entre la CNT et le Gouvernement et durèrent jusqu’à 6 heures du matin le 4 mai. Il ajoute:

* Augustin Souchy «The Tragic Week in May», édition anglaise (Barcelone 1937), page 11.

«Le matin, les ouvriers commencèrent à construire des barricades dans les quartiers extérieurs de la ville. Il n’y eut pas de combat la première nuit, mais la tension générale montait.»

La bataille commença quand le Palais de Justice fut occupé par la police, et même alors les pourparlers continuaient entre le Comité Régional de la CNT et le Gouvernement.

Le Gouvernement refusa de recevoir les requêtes de la CNT de retirer la police et de démettre Salas et Ayguadè et ne voulait pas négocier avant que les rues ne fussent dégagées par les ouvriers. Ce fut sans doutè un moment critique pour Companys et ses politiciens. En se mettant d’accord avec les ouvriers révolutionnaires, ils auraient admis que leur pouvoir, au moment opportun, se révélait fondé sur un mythe et que les ouvriers armés étaient aussi forts, et le gouvernement aussi faible que le 19 juillet. Cela aurait signifié que tous ces mois d’intrigues, de jeux de main politiques, de manœuvres pouvaient être détruits en un jour. Il n’y avait qu’une voie pour le Gouvernement: aucun compromis avec les ouvriers révolutionnaires.

On évita d’«abattre les cartes» et on s’assura le succès gouvernemental avec la collaboration des chefs des organisations des travailleurs dont le rôle dans toute la lutte fut de caractère conciliateur. Quand le Gouvernement eut refusé les pourparlers, ces chefs s’adressèrent aux travailleurs pour les amener à déposer les armes, en faisant usage du jargon politique qui ne leur était que trop familier: «qu’auraient pensé les camarades du front», ou bien «ces événements ne faisaient qu’aideir Franco», etc... Pendant ce temps, le Gouvernement démissionnait et il en fut formé un, provisoire, composé d’un membre de chaque parti et de chaque organisation précédemment représentée (de cette façon il fut possible d’éliminer Salas et Ayguadè en sauvant la face). A cette époque une délégation composée du Secrétaire du Comité National de la CNT, Mariano Vazquez, et du Ministre de la Justice «anarchiste», Garcia Oliver, était arrivée de Valence. Le Ministre de la Santé «anarchiste», Federica Montseny, se joignait à eux. De Valence aussi arrivèrent des membres du Comité Exécutif de l’UGT. Leurs efforts tendaient à la pacification à tout prix, au moins en ce qui concerne les chefs de la CNT. Et cette position n’était certainement pas fondée sur une infériorité aux barricades. Selon Souchy, des comptes rendus de tous les partis de Barcelone et des provinces catalanes attestaient le deuxième jour que:

«l’énorme majorité de la population était avec la CNT et de grandes parties des villes et des villages étaient entre les mains de nos organisations. Il aurait été facile d’attaquer le centre de la ville si le Comité responsable l’avait décidé. Celui-ci aurait, dû s’adresser aux comités de défense des zones plus éloignées. Mais le Comité Régional  de la CNT s’y opposait. Toutes les propositions d’attaque furent repoussées à l’unanimité, y compris par la FAI».                         

(p. 17)

La thèse des porte-parole de la CNT-FAI était que les ennemis des travailleurs révolutionnaires avaient voulu cette lutte comme prétexte pour les liquider et donc qu’il ne fallait pas se prêter au jeu de l’ennemi. D’autre part, de nombreux militants pensaient que la CNT-FAI avait fait trop longtemps le jeu du Gouvernement aux dépens de la révolution sociale et de la lutte contre Franco et que maintenant Barcelone «découvrait ses cartes». Souchy — qui, prit position pour les «chefs»  — admit dans sa relation que:

«à un autre moment, cet assaut du Central téléphonique n’aurait peut-être pas eu de telles conséquences. Mais l’accumulation des conflits politiques durant ces derniers mois avait rendu l’atmosphère très tendue. Il étail impossible de contenir l’indignation des masses» (souligné par nous).

(p. 17)

Peirats rapporte aussi que les travailleurs de la CNT ne pouvaient se résigner à suivre les recommandations souvent répétées des chefs, «d’armistice», de «sérénité», de «cessez-le-feu».

«Leur mécontentement augmentait. Une partie importante de l’opinion publique commença à exprimer son opposition à l’attitude des Comités. A la tête de ce courant extrémiste se trouvait le groupement appelé «les amis de Durruti». Ce groupement s’était formé sur la base d’éléments hostiles à la militarisation, dont beaucoup avaient abandonné les unités de l’Armée Populaire, récemment formée, lors de la dissolution des milices volontaires.»

(Peirats, II, 196.)

Leur organe «El Amigo del Pueblo» mena une campagne contre les ministres et les Comités de la CNT et souhaitait la continuation de la lutte révolutionnaire commencée le 19 juillet 1936. Les Comités Confédéraux condamnèrent immédiatement «les amis de Durruti». «Malgré cela, ils ne disparurent pas», commente Peirats, plutôt mystérieusement. Il est très regrettable qu’à cet «important secteur de l’opinion générale» l’historien de la CNT ne consacre que 18 lignes. Suivant un écrivain trotskyste:

«Le Comité Régional de la CNT dénonça dans toute la presse — stalinienne et bourgeoise incluses — les amis de Durruti comme agents provocateurs 37 

Tout comme la défense de Barcelone en juillet 1936 fut un mouvement spontané des travailleurs, de même en mai 1937 la décision de rester sur le qui-vive contre de possibles attaques vint encore une fois de la base. Comme nous l’avons déjà vu, en juillet les dirigeants se préoccupaient de contenir le mouvement. Ils avaient peur que la fougue, qui avait bousculée les troupes de Franco, poussât la révolution sociale au delà de leur contrôle. Et les politiciens ne manquèrent pas de profiter de cette attitude des dirigeants de la CNT. Quelle plus grande condamnation de ces dirigeants que cette réponse donnée par Companys à un journaliste étranger qui avait prédit, en avril 1937, que l’assassinat de Antonio Martin, anarchiste de Puigcerda et de trois de ses camarades, amènerait une révolte:

* En français dans le texte, N. d. T.

«(Companys) rit dédaigneusement et dit que les anarchistes auraient capitulé, comme toujours.»        

(Lister Vak, in The New Statesmen and Nation, 

15 mai 1937.)

Il avait raison s’il parlait des chefs qui, durant ce même mois, avaient permis la solution de la crise de la Généralité.

«en se montrant très peinés ils renoncèrent aux revendications antérieures, modifièrent les aspirations du prolétariat, en soulignant la nécessité de la guerre contre le fascisme, et ils le firent pour concentrer leurs forces dans la période qui aurait suivi la défaite des fascistes».

(Souchy.)

Il ne faut donc pas s’étonner de l’insuccès de Vazquez et de Garcia Oliver dans leur tentative pour convaincre les travailleurs d’abandonner les barricades (l’appel à la radio de Garcia Oliver a été justement qualifié de «chef-d’œuvre oratoire qui arrachait les larmes, mais pas l’obéissance»). Federica Montseny fut inviée par le Gouvernement de Valence à prouver ses capacités oratoires sur les «incontrôlables» travailleurs de Barcelone. Elle arriva au moment où le Gouvernement central avait retiré les troupes des fronts pour les envoyer à Barcelone. Mais avant de quitter Valence, elle obtint l’assurance du Gouvernement que:

«ces forces ne seraient pas envoyées avant que le Ministre de la Santé ne l’eût  jugé opportun».

(Peirats, II, 200.)

Il est possible que Federica Montseny n’ait eu aucune intention de réclamer des troupes à Barcelone pour maîtriser les batailles de rues, mais cela ne minimise en rien le sens de sa déclaration publique, et c’est un nouvel exemple du sentiment d’orgueil et de puissance créatrice chez les soi-disant ministres anarchistes.

Autant qu’on en puisse juger, l’intervention des membres influents de la CNT-FAI eut pour effet de créer la confusion dans les rangs des travailleurs et d’obliger ceux de la CNT à faire toutes les concessions. Ainsi, le jeudi 6 mai, pour montrer leur «volonté de rétablir la paix», les travailleurs de la CNT consentirent à quitter le Central téléphonique. Les autorités promirent de retirer au même moment les gardes d’assaut. Mais, au contraire, ils occupèrent tout le bâtiment, mettant des membres de l’UGT à la place des travailleurs de la CNT. Souchy écrit:

«Les membres de la CNT virent qu’ils avaient été trahis et informèrent immédiatement le Comité Régional qui intervint auprès du Gouvernement. Il exigea que la police fût retirée.  Mais la Généralité répondit alors «le fait accompli ne peut être annulè.» 

(p. 22)

Et Souchy continue:

«Cet accord non respecté suscita une grande indignation parmi les travailleurs de la CNT. Si les travailleurs des zones plus éloignées avaient été immédiatement informés du développement de la situation, ils auraient certainement insisté pour adopter d’autres mesures et retourner à l’attaque. Mais quand la question fut discutée plus tard, le point de vue modéré prévalut» (souligné par nous).                         

(p. 22)

Une fois de plus les travailleurs furent tenus à l’écart et les décisions furent prises dans les hautes sphères. Et suivant les paroles de la Généralité «le fait accompli ne peut être annulé». Une fois de plus les travailleurs avaient été trahis.

Ce compromis ne mit pas fin au combat. Le seul résultat fut de rendre leur tâche plus difficile parce que, ayant perdu le Central téléphonique, leurs moyens de communication se limitaient alors à une station radio à ondes courtes située dans le quartier général de la CNT-FAI dont on ne pouvait attendre que des ordres de retour au travail et de capitulation.

Quand le vendredi 7 mai, sauf quelques escarmouches épisodiques, le combat fut terminé, le Gouvernement se sentit assez fort pour ignorer toutes les demandes faites par les travailleurs. De Valence étaient arrivées des troupes de plusieurs milliers d’hommes et, avec elles, le contrôle des unités combattantes et des forces de l’ordre en Catalogne passa dans les mains du Gouvernement Central. Les otages pris par le gouvernement durant le combat ne furent pas relâchés, malgré les solennelles promesses faites *. En réalité aprés la fin de la lutte, beaucoup de ceux qui avaient été arrêtés furent exécutés. On imposa une censure rigide de la presse et de nombreux décrets-lois qui avaient provoqué  la crise d’avril furent mis à execution. La bourgeoisie avait obtenu une grande victoire: la révolution sociale avait subi un échec décisif.

* Selon «Solidaridad Obrera», 11 mal 1937: «Dans les cachots de la Préfecture de police il y a environ trois cents camarades qui doivent être immédiatement mis en liberté. Ils sont retenus depuis six jours, et personne ne les a encore interrogés...»  

(Peirats, II, 207.)


 

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